« Il faut lutter contre les trafics agroalimentaires »

Phénomènes criminels nouveaux, les fraudes et contrefaçons alimentaires prennent une ampleur internationale. Chargé de projets à l’Oclaesp, le lieutenant-colonel Monteil a eu pour mission d’organiser le premier séminaire européen sur la lutte contre les trafics agroalimentaires, qui se tient à Paris du 6 au 8 octobre.
Les Marchés Hebdo : Pensez vous que les trafics agroalimentaires connaissent réellement une forte croissance aujourd’hui ?
Jean-Luc Monteil : Que ce soit de la contrefaçon pure avec l’imitation de produits de marque ou d’autres formes de fraudes dans la composition des produits, avec des exemples bien connus comme les huiles frelatées ou la mélamine dans les produits laitiers, les trafics internationaux agroalimentaires semblent effectivement croître, emportés par la mondialisation des échanges. Aux côtés des opportunistes toujours actifs et d’une délinquance découlant parfois de stratégies d’entreprise, le crime organisé s’y intéresse désormais, à la recherche de profits importants à moindre risque. Enjeu majeur pour l’humanité, l’alimentation génère en effet annuellement un commerce mondial de marchandises de plusieurs milliards de tonnes pour un chiffre d'affaires estimé par le Codex Alimentarius à plus de 4 000 milliards d’euros en 2009. Ce commerce, en augmentation constante, constitue un domaine de plus en plus attractif pour une nouvelle forme de délinquance. Or, cette menace émergente, au caractère international affirmé, génère des conséquences sécuritaires, sanitaires et économiques graves.
LMH : Quels sont les contours de ces trafics ?
J.-L. M. : Dans notre approche, les « trafics agroalimentaires » recouvrent « l’ensemble des agissements délictuels ayant une incidence directe sur la chaîne alimentaire de la production à la distribution en passant par la transformation ». Cette nouvelle menace fait courir de réels dangers aux sociétés et aux populations qui en sont victimes. Elle vise un triple enjeu de sécurité, de santé publique et d’économie. Les enquêtes pénales mettent d’ailleurs en évidence trois types de situations. Les infractions d’opportunité visent à satisfaire un besoin ponctuel du fraudeur qui va par exemple utiliser des antibiotiques interdits dans son élevage ou commercialiser des produits périmés. Certaines entreprises déviantes peuvent être à l’origine d’infractions relevant d’une véritable stratégie comme l’ajout de déchets dans des produits nobles pour augmenter les quantités, le viol des embargos alimentaires ou l’utilisation d’ingrédients interdits. Enfin, nous relevons, phénomène nouveau, des infractions liées à la criminalité organisée avec des trafics de médicaments vétérinaires ou de produits phytosanitaires et la contrefaçon alimentaire. Tout le monde a bien en tête les enjeux de santé publique illustrés dans certaines des plus grosses crises alimentaires comme la vache folle, les poulets à la dioxine ou les huiles frelatées. Sans oublier que les déviances agroalimentaires entraînent des atteintes à l’emploi en raison de la concurrence déloyale et des contrefaçons des produits de qualité fabriqués par des industriels respectant les normes sanitaires.
LMH : Pourquoi la France s’est-elle chargée d’organiser ce premier séminaire de lutte contre les trafics agroalimentaires ?
J.-L. M. : Ce séminaire entre parfaitement dans le cadre de nos actions. L’Oclaesp est en effet une structure unique dont l’une des missions est d’observer, d’étudier et de centraliser les informations relatives aux nouvelles formes de délinquance qui entrent dans son domaine de compétence, c’est-à-dire toutes les atteintes à l’environnement et à la santé publique. De fait, nous sommes appelés à étudier les comportements les plus caractéristiques des auteurs et des complices d’atteintes à l’environnement et à la santé publique pour souligner notamment les phénomènes criminels nouveaux tels que ces trafics agroalimentaires, et il nous appartient de transmettre les informations à nos partenaires. Or, depuis quelques années, il apparaît que le domaine agroalimentaire capte une nouvelle forme de criminalité recherchant des niches à hauts revenus, où le risque de détection et les sanctions restent faibles.
LMH : Qu’attendez-vous de ce premier séminaire ?
J.-L. M. : Il faut tout d’abord noter qu’une telle organisation s’étale sur plus d’un an pour sensibiliser l’ensemble des services concernés à une telle problématique. Nous avons adressé un questionnaire aux États membres et tenu des réunions préparatoires dont les travaux ont d’ailleurs été présentés dès le premier jour du colloque. Les échanges ont donc démarré avant le séminaire. Ils devraient se poursuivre durant ces trois jours, entre des mondes qui ne se connaissent pas toujours, des consommateurs (avec le Beuc) aux services de la direction générale de la Santé et des Consommateurs, celle de la Fiscalité et de l’Union douanière de la Commission européenne ainsi que de l’Office européen de la lutte anti-fraude, en passant par l’Anses et la DGAL, ainsi que les industriels et les services de gendarmerie et de police des différents États présents. Interpol et Europol sont également présents. Outre les présentations, nous avons aussi privilégié des ateliers de réflexion sur les enjeux de ces trafics et les moyens de les combattre ; la présentation de cas concrets devrait permettre de sensibiliser les acteurs présents et de déterminer les meilleurs outils de détection et de lutte. Car qui dit trafic international dit nécessairement approche partenariale, coordination et coopération internationale.