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Cotisations interprofessionnelles et intérêt général

Depuis trois ans, la légalité des cotisations interprofessionnelles étendues est remise en cause par certains de leurs détracteurs pour non-conformité à l'intérêt général : le point après un arrêt du 19 mai de la cour d'appel de Limoges.

Dans un jugement du 2 août 2013, le juge de proximité de Flers s'est fondé sur l'alinéa 2 de l'article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme pour considérer comme illicite l'extension des accords interprofessionnels instituant des cotisations. Relevant que le caractère obligatoire de telles contributions constituait une atteinte au droit de propriété, le juge rappelait que celle-ci n'était possible que pour cause d'utilité publique ou dans le cadre des droits que possèdent les États de réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. Considérant ensuite que les objectifs et actions de l'organisation interprofessionnelle concernée n'étaient susceptibles de profiter qu'à un groupe professionnel déterminé et non à l'ensemble de la population (opposant ainsi intérêt général et objectifs catégoriels), le juge annulait les arrêtés d'extension de l'accord sur lequel était fondée la procédure de recouvrement qui lui était soumise.

Une jurisprudence qui faisait débat

Cette jurisprudence a fait florès dans les argumentaires des détracteurs des interprofessions agricoles. À ce jour pourtant, force est de constater qu'elle n'a pas rencontré auprès des juridictions le succès escompté : en dehors d'une décision isolée du tribunal d'instance de Nantes du 12 janvier 2015, elle a été rejetée par toutes les autres juridictions qui en ont été saisies, qu'il s'agisse de juridictions du premier degré (au moins huit juridictions de proximité, trois tribunaux d'instance et un président de tribunal de grande instance) ou de cours d'appel : Versailles, Nancy, Rennes, Paris, Caen (dont l'arrêt a été transmis à la Cour de cassation), Aix-en-Provence et Limoges.

On rappellera que la conformité à l'intérêt général constitue l'une des conditions posées par l'article L.632-3 du Code rural et de la pêche maritime pour que soit prononcée par les pouvoirs publics l'extension des accords interprofessionnels. Certains des juges qui ont validé les arrêtés d'extension ont considéré que l'État, qui agit sous le couvert de la loi, n'avait pas à justifier de l'intérêt général. Son appréciation découle de la mise en œuvre même du dispositif, d'autant, selon eux, que la condition d'intérêt général n'est stipulée que lorsqu'il s'agit de réglementer l'usage des biens, et non lorsqu'est en question le seul paiement de contributions. D'autres ont par ailleurs relevé que si une mesure ne profitait pas à la collectivité dans son ensemble, il ne fallait pas en déduire qu'elle n'était pas conforme à l'intérêt général, ses objectifs pouvant profiter au-delà de la simple catégorie des professionnels concernés.

L'intérêt général au profit de la filière

Dans un arrêt du 19 mai 2016, la cour d'appel de Limoges relève que « l'intérêt général qui est poursuivi par les dispositions légales qui figurent aux articles L.632-1 et suivants du Code rural et, plus particulièrement, à l'article L.632-6 […] est celui du secteur, ou de la filière dont relèvent les professionnels qui sont appelés à bénéficier des actions que les cotisations ont pour but de financer ». La cour place ainsi l'intérêt général, non pas dans les actions poursuivies, qui peuvent être catégorielles, mais dans le dispositif légal lui-même, au profit de la filière. Mais elle va plus loin en précisant que « ces textes légaux s'inscrivent au surplus dans le droit qui est reconnu aux États de poursuivre dans un but d'intérêt général leur politique de réglementation de l'activité économique ».

Ainsi, les mesures de droit privé, financées par des cotisations privées perçues auprès d'une catégorie de professionnels qui en sont les bénéficiaires, ne sont pas exclusives de l'intérêt général : c'est parce que l'État reconnaît qu'elles le rejoignent et l'alimentent qu'il peut les rendre obligatoires.

LE CABINET RACINE

Racine est un cabinet d'avocats indépendant spécialisé en droit des affaires. Avec un effectif total de deux cents personnes en France (Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg et Saint-Denis de La Réunion), il réunit près de soixante-dix avocats et juristes à Paris. Il dispose également d'un bureau à Bruxelles et à Beyrouth.

Bruno Néouze, associé, y traite avec son équipe les questions relatives à l'agriculture et aux filières agroalimentaires. Il conseille et assiste de nombreuses entreprises agroalimentaires et organisations professionnelles et interprofessionnelles agricoles.

Racine - 40, rue de Courcelles - 75 008 Paris - www.racine.eu

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