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Comment le Japon a banni l'étiquetage de précaution

Seul pays du monde à interdire l'étiquetage de précaution des allergènes, le Japon a fixé il y a quinze ans un seuil de présence fortuite et des méthodes de dosage par consensus entre les différentes parties prenantes. Enquête sur place.

Dix microgrammes de protéines d'allergène par gramme d'aliment : voici ce que le Japon définit comme une trace pour chacun de ses sept allergènes à déclaration obligatoire : œuf, lait, blé, sarrasin, arachide, crevette, crabe. Ce seuil déclenche l'étiquetage dans la liste des ingrédients. Ce pays est en effet le seul au monde à avoir interdit l'étiquetage de précaution, c'est-à-dire le « may contain ». L'exemple est intéressant, car ce sujet fait actuellement l'objet de nombreuses discussions en Europe, que ce soit dans le projet européen Ifaam ou à la Commission européenne. Cette dernière a d'ailleurs lancé, en décembre dernier, une enquête auprès des États membres pour savoir comment ils gèrent les présences fortuites.

« La dose pour prévenir toute réaction allergique est souvent considérée comme zéro, mais une tolérance zéro crée d'énormes problèmes pratiques pour l'agroalimentaire. Nous avons donc besoin d'un seuil pour la mention sur l'étiquette de la présence d'un allergène, seuil qui doit être assorti obligatoirement de méthodes de détection offi-cielles. Pour les établir de façon consensuelle, nous avons créé à la fin des années 1990 un groupe d'étude », précise Hiroshi Akiyama (National institute of health sciences). Les conditions de l'étiquetage sont systématiquement discutées au sein de ce Food Allergy Forum qui regroupe quatre collèges : les six associa-tions de patients allergiques, les industriels, les médecins et les instances officielles.

Il n'est pas évident de se procurer des aliments qui répondent à nos normes

7 allergènes obligatoires et 20 recommandés

Outre les allergènes obligatoires, le ministère de la Santé, du Travail et du Bien-être du Japon (MHLW) a établi une liste de vingt allergènes recommandés. Les scientifiques savent en effet que plus de cent quatre-vingts ingrédients peuvent induire des réactions allergiques. Pour les industriels nippons, se mettre en règle avec l'obligation des 10 µ/g date déjà de près de quinze ans. « Nous contrôlons dans notre propre laboratoire de nombreux aliments vendus dans nos magasins. Nous avons même une section dédiée pour cela », souligne Kuniaki Miyachi, président de Research institute for quality living, filiale du groupe Aeon, l'un des trois principaux distributeurs au Japon.

Pour Hidenori Aoaki, responsable du département chargé des produits importés chez Aeon : « il n'est pas toujours évident de se procurer des aliments produits ailleurs et qui répondent à nos normes. Par exemple, comment faire lorsque des pâtes normalement sans œufs ont été produites après un lot qui en contient », explique-t-il. Chez CGC, coopérative de plusieurs réseaux de petits distributeurs, le directeur de la qualité, Hiromitsu Iwai organise même, chaque année, un séminaire pour tous ses salariés : « il faut que tout le monde ait bien toujours le sujet en tête. Nous avons eu le cas d'un fournisseur thaï qui n'avait pas indiqué qu'il utilisait du lait comme ingrédient. Depuis, nous inspectons les ingrédients qui ne sont pas mentionnés ». Depuis l'an dernier, le groupe impose la mention de la présence d'allergène en facial : « il faut que le consommateur puisse rapidement repérer un changement de recette », explique Hiromitsu Iwai.

Production conforme à la réglementation

Treize rappels sur la thématique sont recensés en moyenne par mois, l'essentiel étant des erreurs d'étiquetage. « L'un des intérêts de la base de données est de permettre aux consommateurs d'éviter les produits incriminés. Elle sert aussi aux industriels pour ne pas refaire la même erreur », résume Tomomi Akagi, directrice d'une des principales associations d'allergiques, Atopicco. Elle poursuit : « certains industriels sont tentés d'indiquer “ produit dans une usine qui utilise…”, mais nous ne sommes pas d'accord, car cela ne permet pas aux consommateurs de connaître le risque ».

Nous avons fabriqué des produits sans allergènes après le tremblement de terre de Fukushima

Plusieurs industriels ont d'ailleurs suivi des formations organisées par son association. « La production d'aliments conformes à la réglementation impose des mesures de gestion de la produc-tion et d'hygiène avec non seulement des changements de vêtement, mais aussi des temps de brossage afin de lutter contre les contaminations particulaires. Et nous analysons de façon très régulière les lots de produits finis et le nettoyage, chez nous et dans un laboratoire extérieur », détaille Hidekazu Miyasaka, responsable qualité de Ishii Food, producteur notamment de boulettes de poulet.

Zéro tolérance pour les aliments « sans »

Encore plus contraints, car ils exigent une absence au seuil de sensibilité des différents kits de dosage, des produits « garantis sans » commencent toutefois à arriver. Leur coût est souvent le double de celui des produits standard et les confine à de toutes petites niches de marché.

« Nous avons d'abord commencé à fabriquer des produits sans allergènes pour les réfugiés après le tremblement de terre de Fukushima, car il leur était impossible de cuisiner », explique Hidekazu Miyasaka. Aujourd'hui, Ishii food propose une gamme élargie de préparation de viandes (boulettes, nuggets, hamburgers) mais aussi de soupes ou de sauces.

L'entreprise a conçu un site de production entièrement dédié sur un modèle quasiment pharmaceutique en quatre zones étanches et pression négative avec douches à jet d'air. « Nous dosons chaque lot contre deux fois par mois pour les produits standard ». Autre industriel, House vient tout juste de se lancer. « Nos préparations tant pour plats sucrés que salés sont très connues, mais contiennent en général du lait et de la farine de blé. Or, pour une famille, il est très important de pouvoir manger tous ensemble. Nous lançons donc quatre produits qui reformulent nos principales références », explique Tetuya Sagoh. Yanne Boloh

MÉTHODES OFFICIELLES DE DÉTECTION

Le groupe de travail sur la détection des allergènes a déterminé trois grandes catégories de méthode. Pour le screening, il impose des kits Elisa (Fastkit Elisa VerIII, Morinaga Faspek Elisa II et Allergeneye Elisa II pour les œufs, le lait, le blé, le sarrasin et les arachides ; Crustacean kit II Maruha Nichiro et FA test EIA-Crustacea II Nissui pour les crevettes et les crabes). Pour les tests de confirmation, les laboratoires utilisent soit des Western Blot pour les œufs et le lait (Western blotting ou Morinaga Faspek), soit la PCR (blé, sarrasin, arachide, crevette, crabe). « Nous avons aussi développé des méthodes de détection pour certains autres des allergènes à déclaration recommandée comme le soja, les noix, le kiwi, les pommes, les pêches, la banane, le bœuf, le porc, la volaille, le cheval et le saumon dans les aliments industriels », précise Hiroshi Akiyama. Comme les méthodes conventionnelles sont compliquées à introduire dans les usines agroalimentaires, le groupe de travail a développé et validé la mise en évidence rapide par immunochromatographie (lateral flow assay). Il vient enfin de valider la détection rapide et simultanée des sept allergènes (BIST) avec Precision System Science Co.

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