Comment le groupe Euralis a essaimé au Canada
Euralis est en train de réussir sa greffe dans la Belle Province. Le succès, loin d'être acquis à l'origine, s'explique par une prudente stratégie d'alliance locale et une démarche commerciale visant exclusivement les professionnels, rares acteurs à disposer d'une « culture » du foie gras en Amérique du Nord. « Nous avons ciblé le Québec pour contourner les risques de fermeture des frontières américaines liés à la grippe aviaire en Europe », rappelle Benoît Cuchet, responsable pour l'Amérique du Nord de Rougié, la marque sous laquelle Euralis opère outre-Atlantique.
En 2005, la coopérative rachète Palmex, une entreprise de production de canards gras (élevage et gavage), et Aurpal, un site de transformation de foies gras, tous les deux situés à l'est de Montréal. Les deux activités appartiennent à Pascal et Francette Fleury, un couple d'éleveurs originaire des Landes qui a entrepris de développer cette production très « exotique » dans les années 1980 et 1990. « L'usine Aurpal de Marieville présentait l'avantage décisif de bénéficier d'un agrément fédéral canadien mais aussi américain, le principal marché visé », indique Benoît Cuchet.
Rougié s'est appuyé sur le savoir-faire de Pascal Fleury, toujours conseiller au sein de l'entreprise, pour développer son activité d'élevage et de gavage. « La conduite y est très différente de la France, à commencer par la claustration, obligatoire dans une région où les températures chutent à - 10 °C en moyenne en hiver », observe Cédric Martineau, le directeur de production de Rougié. L'entre-prise française développe peu à peu la production en partenariat avec de nouveaux éleveurs, sur le modèle de l'intégration. « Nous en comptons trois aujourd'hui, et nous en recherchons un quatrième pour le gavage, de façon à assurer notre développement », stipule Benoît Cuchet.
60 % de la production du QuébecAvec environ 200 000 canards transformés sur son site de Marieville, la filiale américaine de Rougié serait un tout petit acteur sur le marché français. Mais au Québec, principale province canadienne consommatrice de foie gras (on estime le marché canadien à 100 tonnes), Rougié est de loin le premier producteur, avec 60 % de la production domestique. Il fait aussi partie des trois seules entreprises canadiennes à être susceptibles d'exporter aux États-Unis et commercialise aussi vers l'Amérique centrale et du Sud. « L'exportation représente la moitié du chiffre d'affaires de la filiale », précise Benoît Cuchet.
Si les ventes de Rougié en Amériques connaissent depuis 3 ans une croissance à deux chiffres, c'est grâce à une stratégie commerciale adaptée à la consommation locale, estime le patron de la filiale américaine. « La connaissance du produit ici est limitée. Elle passe par les restaurants où se consomme l'essentiel du foie gras, le plus souvent en escalope », indique Benoît Cuchet. Aussi, la coopérative a-t-elle adapté ses produits (surgelés crus notamment) et construit des relations solides avec les chefs québécois et californiens. Comme il faut bien valoriser toute la carcasse, Rougié doit désormais apprendre aux Américains l'art du confit de canard. Un autre challenge à relever.
Pour Rougié, l'incertitude pesant sur l'autorisation du commerce du foie gras en Californie constitue une source d'inquiétude. « Nous avons perdu ce marché pendant deux ans et demi, de 2012 à début 2015, après une décision du parlement californien », rappelle Benoît Cuchet. Avec d'autres acteurs, la coopérative a dû débourser plusieurs centaines de milliers de dollars en frais d'avocat pour obtenir gain de cause en janvier 2015 devant la Cour fédérale. « Mais l'État de Californie a fait appel de la décision, et il n'est pas exclu que le marché californien se referme à nouveau d'ici un an », précise-t-il.