Armées : « une gamme négociée en commun »
LM : Sous l’intitulé « Vivres en métropole », l’Économat des Armées, promu en mars 2004 centrale d’achat de la Défense, fournit des produits alimentaires aux 340 restaurants des trois armées, terre, air, mer, des hôpitaux militaires et de trois écoles de gendarmerie. Ces vivres sont pris en charges par le prestataire logistique Stef-TFE et le transporteur Geodis. Quels sont les atouts de ce fonctionnement ?
Thierry Lévrier : En pratique, les gérants passent commande par un portail informatique, cinq jours avant d’être livrés ou 48 heures en cas d’urgence. Logica est le prestataire informatique ; c’est le GIE STEF-TFE/Geodis qui va chercher ou se fait livrer les produits et les distribue à partir de deux plateformes principales et vingt plateformes secondaires. Il les facture au nom de l’EdA aux clients directement sur le portail avant la livraison.
Ce fonctionnement a fait gagner du temps aux responsables locaux qui peuvent se consacrer davantage à la gestion de leur restaurant. Le nombre de livraisons a été considérablement diminué, les camions étant remplis, et l’économie en carburant est estimée à 1,5 million de kilomètres par an. L’achat globalisé permet de peser sur les coûts d’approvisionnement, qui sont nettement plus homogènes qu’avant. On a économisé 12 à 15 millions d’euros en séparant l’achat de vivres de leur distribution par un logisticien. Enfin, ce système permet de connaître avec précision toutes les consommations et les composantes de chaque coût, de mettre en œuvre une comptabilité analytique fine et de favoriser le contrôle de gestion.
LM : Les restaurants des Armées sont hétérogènes en effectifs, puisqu’ils vont de 20 000 personnes à nourrir par jour, comme à Toulon, à une centaine de convives. Les exigences ne sont pas les mêmes. Comment satisfaire tout le monde ?
T. L. : Nous sommes effectivement passés d’une multitude de produits, plus de 3 500 pour chaque armée, à une gamme unique de 1 500 produits. C’est vrai qu’il y a des spécificités comme le pâté Hénaff pour les marins, des conditionnements à adapter ou des grammages plus importants dans l’armée de terre que dans les hôpitaux… Mais la gamme s’est négociée en commun en préservant certaines particularités. Par ailleurs, les statistiques de consommation et les évolutions des choix alimentaires nous aident à adapter cette gamme chaque année. Quant aux petites unités, elles ont plus de choix qu’avant. Elles peuvent être approvisionnées comme les grandes, par camions multitempératures, grâce à un maillage logistique serré. Elles achètent des produits du catalogue et procèdent à des achats spécifiques.
LM : Sur un autre plan, celui de la prestation en restauration à l’étranger, certains prestataires comme Sodexo ou d’autres sociétés de restauration collective ne seraient-ils pas plus compétitifs ?
T. L. : Il s’agit en général de marchés passés à l’étranger pour l’étranger et il doit être tenu compte des conditions difficiles et complexes d’intervention, comme au Kosovo, à Kaboul ou au Tchad. L’EdA a acquis un véritable savoir-faire dans ce domaine.
LM : Le ministère de la Défense veut favoriser l’accès des petites et moyennes entreprises aux marchés publics. Est-ce le cas des vivres en métropole ? Pouvez-vous citer quelques-unes de ces PME ?
T. L. : Le fait d’avoir dissocié l’achat des vivres de la logistique épargne aux industriels et aux producteurs les contraintes du transport et les coûts d’élongation logistique, sans pour autant écarter des marchés les distributeurs classiques. Les fournisseurs de surgelés et d’appertisés sont choisis à prix départ, le GIE Geodis-Stef-TFE réalisant le transport amont au rythme d’approvisionnements hebdomadaires. En outre, dès que le volume le permet, le GIE assure la livraison directe du fournisseur aux clients ; c’est le cas pour la fourniture de l’eau. Les fournisseurs de produits frais, comme les produits carnés, livrent sur les plateformes Stef-TFE à un rythme journalier.
Les PME qui me viennent à l’esprit ? Michaud pour le miel, Damien Dejong pour le gibier, Gel Manche en 5 e gamme ; des fabricants ou des industriels également : Jean Floch pour la charcuterie, LDC Guillet et Remi Ramon pour les volailles, D’Aucy pour les légumes, à côté de grands comme Coca-Cola et Danone pour les boissons et Lactalis pour les produits laitiers. Soit 35 PME, industriels ou producteurs qui côtoient des grossistes importants comme Pomona, Pro à Pro ou Brake, pour un total de 60 fournisseurs…
LM : En tant qu’établissements publics, les restaurants des Armées sont tenus de montrer l’exemple en consommant bio. Où en sont-ils, sachant que l’offre française en produits biologiques reste limitée ?
T. L. : Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, le ministère de la Défense a demandé aux Armées de servir dans leurs unités militaires au moins un repas majoritairement bio par semaine. Nous avons lancé ce projet l’an dernier. A la mi-2008, notre catalogue présentait 4 articles biologiques, 20 à la fin 2008 et en compte maintenant 35. On trouve des produits laitiers, des haricots verts, des lentilles, des cuisses de poulet, du steak haché, de l’huile d’olive… La contrainte était de trouver des fournisseurs pouvant approvisionner au niveau national les quantités demandées. Des chiffres ? Je pense que nous sommes un ministère en pointe dans ce domaine. En 2008, les Armées ont acheté pour 290 000 euros de produits bio, et plus de 150 000 euros pour le seul mois de janvier 2009. La gamme va se densifier en septembre prochain avec les accords-cadres sur les fruits et légumes, qui intégreront la composante biologique.