Allemagne : la main-d’œuvre de l’Est secoue la filière viande
L’Allemagne, confrontée à un chômage important, qu’elle a du mal à faire reculer malgré des remises en cause d’acquis sociaux, est agitée depuis plusieurs mois par un vif débat sur l’arrivée sur le marché du travail de nombreux trailleurs de l’Est, en particulier dans le secteur de la viande. En plein débat sur l’Europe, la mise en cause de Joschka Fischer n’arrange rien. Le ministre Vert des Affaires étrangères est auditionné par une commission d’enquête parlementaire. Il est accusé de laxisme dans la distribution de visas d’immigration à des ressortissants de pays de l’Est, Ukrainiens surtout.
Le cas des abattoirs a fait irruption dans le débat public l’année dernière. Des enquêtes ont été menées sur l’emploi illégal chez D & S à Essen (Nord). Cette société abat 2,6 mio de porcs/an, ce qui la situe au quatrième rang dans le secteur. Une filière clandestine de main-d’œuvre roumaine a été mise à jour et les condamnations ont été sévères. Au point que l’un des actionnaires principaux a quitté l’entreprise, désormais très vulnérable. Les choses ont pris une tournure politique avec l’implantation de la filiale Tulip de Danish Crown à côté d’Oldenburg avec 400 salariés. Au Danemark, le groupe a dû faire face à des protestations et des grèves à cause de plusieurs fermetures et de cette délocalisation surprenante.
Deux à cinq fois moins chers
L’entreprise s’est justifiée en indiquant qu’en Allemagne la main-d’œuvre était de 25 à 30 % moins chère, qu’il y était plus facile d’employer de la main-d’œuvre temporaire et immigrée, car les employés ne sont pas « sur-syndicalisés. »
Il n’en fallait pas plus pour qu’en Allemagne la NGG (Fédération des salariés de l’agroalimentaire et de l’hôtellerie-restauration) monte au créneau. Selon ce syndicat, le laxisme dans l’emploi de cette main-d’œuvre venue de l’Est a coûté au secteur viande allemand 26 000 emplois de nationaux sur un total de 107 000 salariés.
Dans la région d’Oldenburg, les Polonais travaillent 16 heures par jour pour 4 à 5 euros/heure, là où la main-d’œuvre allemande est payée de 8 à 25 euros/heure. Les Polonais arrivent même tout équipés en couteaux et habits par la société qui les met à disposition. La NGG a dénoncé l’externalisation du travail, par des contrats d’entreprise entre des abattoirs et ateliers de découpe allemands et des sociétés polonaises mettant la main-d’œuvre à disposition de l’entreprise allemande aux conditions polonaises -autrement dit, la directive Bolkenstein appliquée par anticipation !
La Fédération des industries de la viande proteste contre les généralisations, en particulier contre le chiffre qui voudrait qu’il n’y ait plus que 10 à 15 % de salariés directs dans les entreprises. Les contrats sont légaux, dit-elle, pour des nationaux comme pour des ressortissants UE, mais elle admet qu’il peut y avoir des moutons noirs. Un contrôle de tous ces contrats d’entreprise est en cours dans les industries de la viande.
On murmure que des contrats contestables existeraient également chez de grands producteurs de fruits et légumes. La question est de savoir comment établir la différence entre un contrat de service légal et une société illégale. Car le traité d’adhésion a laissé le contrôle de ces sociétés aux pays d’origine de la main-d’œuvre. La Fédération des bouchers quant à elle dénonce les dérives d’un système dans lequel on constate des ventes de viandes en discount à des prix inférieurs aux prix d’achat des bouchers.
Le salaire minimum, une bonne réponse ?
Le leader de la viande Outre-Rhin, Vion Food, s’est aussi vu contraint de s’expliquer. On sait que le secteur de l’abattage découpe allemand a été secoué par ce groupe néerlandais qui a repris successivement le groupe privé bavarois Moksel puis le groupe coopératif Nordfleisch et se trouve actuellement en discussion avec Südfleisch. Vion est devenu le plus grand abatteur de porcs en Allemagne avec 7,5 mio de porcs abattus soit 16,3 % du total de la production allemande, la plus importante de l’UE. Au total, le groupe néerlandais occupe 9 000 salariés dont 4 000 à Nordfleisch et 3 300 chez Moksel.
Des sociétés des pays de l’Est mettraient 20 % du personnel à disposition de Nordfleisch et 13 % chez Moksel. Vion n’aurait changé complètement le personnel allemand que dans un seul cas, en le remplaçant par des employés Est-européens. Il s’agit du site de Lübeck, où le personnel aurait refusé l’adaptation de son temps de travail.
Dans la campagne électorale actuelle en Rhénanie Westphalie, on parle beaucoup de l’instauration d’un salaire minimum, qui n’existe pas en Allemagne, pour faire face à ces dérives. Par ailleurs, une discussion a lieu à propos des 320 000 saisonniers en agriculture, dont 80 % sont des Polonais. L’agence pour l’emploi voudrait que l’agriculture utilise plus de chômeurs allemands.