Algues alimentaires : eldorado en vue ?

> En France, les macroalgues proviennent d'une cinquantaine de bateaux goémoniers et de pêcheurs à pied professionnels, destinées surtout à l'industrie des gélifiants.
ALGOLESKO MONTE EN PUISSANCE Parmi les projets d'algoculture en France, celui d'Algolesko (Plobannalec-Lesconil) est un bon exemple de la dynamique en cours. 50 ha ont été ensemencés en 2013, autant en 2014 (récolte à partir de mars prochain) et en 2015. Algolesko travaille de la sacharina latissima (kombu royal). Le premier exercice de la société a été perturbé par les tempêtes début 2014. Cette année, Algolesko table sur une production d'au moins 500 t qu'il écoulera après séchage (10 %, soit 50 t) en bio. L'agrément lui servira de rempart face aux produits chinois importés. Algolesko opère en tant que fournisseur de biens intermédiaires, principalement pour les industriels agroalimentaires. Il lui faut donc se distinguer par la traçabilité et la qualité de son offre. Algolesko teste actuellement la surgélation de ses algues fraîches et parfaitement nettoyées chez un industriel. « Les industries agroalimentaires attendent cette offre », assure un des associés d'Algolesko, Jacques Prat. Avec l'ouverture de son second site de production (300 ha à Moélan-sur-Mer), la production annuelle pourrait atteindre 4 500 t de produits bruts (450 t commercialisables) et le CA osciller autour de 5 M€.
Les Français consomment en moyenne 7 kilogrammes de salade par personne et par an, soit ce que les Japonais mangent en algues. C'est dire l'écart entre les deux cultures gastronomiques. On n'en mangera sans doute jamais autant, mais le partage des habitudes alimentaires mondiales nous fait de plus en plus aimer les sushis et autres wakamé et soupes miso. C'est ce qui ressort du travail approfondi conduit par le pôle halieutique d'Agrocampus Ouest qui a rendu public, début février, des rapports d'enquête intermédiaires. Ils tendent à démontrer le renforcement de la présence des algues (les macroalgues, et non les microalgues, comme les spirulines) dans les magasins de la grande distribution comme dans les magasins spécialisés en agriculture biologique, deux réseaux au cœur de leur enquête.
Il n'y a là rien de vraiment surprenant. Il se produit annuellement 20 millions de tonnes d'algues dans le monde, à 96 % d'origine asiatique(1). Elles sont cultivées pour l'essentiel (algoculture) et consommées par l'homme dans 75 % des cas. Dans ce volume, l'Europe compte peu : à peine plus de 1 % de la production mondiale (250 000 tonnes) avec deux pays leaders, la Norvège et la France (70 000 tonnes). En France, il s'agit d'une production issue d'une cinquantaine de bateaux goémoniers et autant de pêcheurs à pied professionnels destinée aux trois quarts au secteur des gélifiants pour toutes les industries (notamment agroalimentaires) et pour un peu plus de 20 % au secteur de la santé et la cosmétique marine.
21 espèces autorisées à la consommationSeulement 1 % de la production (700 tonnes environ) rejoint l'assiette du consommateur. Cette orientation du marché hexagonal vers l'industrie oblige des fabricants de produits alimentaires à base d'algues à importer leur matière première pour satisfaire leurs clients. Il y a donc une logique économique à vouloir structurer et développer une filière alimentaire non pas concurrente de l'algue-ingrédient pour l'industrie, mais complémentaire. En effet, les grandes tendances gastronomiques se nourrissent de plus en plus de la naturalité des ingrédients alimentaires. Quoi de plus sauvage et naturel qu'une algue ?
“ Seulement 1 % de la production rejoint l'assiette du consommateur
Haricots de la mer, dulse, porphyra pour shusis, etc. figurent de plus en plus dans des recettes de cartes de restaurants, dans des rayons de grande distribution. En outre, le développement d'une ” filière « algues » peut contribuer à la création d'emplois et de richesses sur des territoires littoraux où l'économie de la pêche ne cesse de décliner. Logiquement, c'est en Bretagne que l'effort de la collectivité scientifique, économique et politique a été jusqu'à présent le plus important. Cette région abrite la quasi-totalité de la production française, soit près de 700 espèces d'algues Franck Jourdain (des rouges, des brunes, des vertes aussi…) sur les 30 000 répertoriées à travers le monde. 21 espèces sont autorisées à la consommation en France.
48 entreprises identifiéesPour les intervenants français, il y a clairement un secteur en devenir. La région Bretagne ne s'y est pas trompée en lançant, en octobre 2012, le plan Breizh'alg pour stimuler et structurer cette filière. D'autres programmes et projets ont été lancés en parallèle. Citons en deux : Blue Valley, centre d'innovation et de transfert de technologie avec comme pivot la Station biologique de Roscoff ou encore Idéalg. C'est dans le cadre d'Idéalg, projet d'avenir qui vise à explorer la filière des macroalgues (par opposition aux microalgues), qu'un des dix-huit partenaires au projet, le pôle universitaire agronomique Agrocampus Ouest, a étudié le développement du débouché alimentaire en France.
De ses travaux, il ressort que les consommateurs interrogés dans sept grandes villes régionales (Rennes, Lille, Montpellier, etc.) commencent à consommer des algues par des sushis, soupes et salades de wakamé. « Autrement dit, des plats typiques de la carte des restaurants japonais », souligne Quentin Le Bras, ingénieur en halieutique à Agrocampus Ouest qui a participé aux deux études. Une découverte culinaire qu'ils prolongent parfois en se rendant en grande distribution retrouver des plats d'inspiration asiatique (quatre-vingt marques identifiées). En revanche, il leur faut entrer dans des magasins bios pour trouver des plats français contenant des algues (rillettes par exemple). Quarante-huit entreprises ont été identifiées comme intervenant dans le secteur dont quatorze travaillent prioritairement les algues (lire Décryptage p. 18), les autres en compléments de gamme.
Aucun point de vente de la grande distribution ne propose des algues fraîches au rayon poisson. Sans doute parce que le consommateur manque d'informations sur la manière de préparer des algues fraîches. Les développements de la fililère, notamment par l'algoculture (si les conflits d'usage sont résolus), peuvent ” ouvrir une autre voie à l'algue française : l'exportation sous forme déshydratée.
“ Tension à dix-vingt ans sur l'accès à ces protéines
Pour Jean-Paul Simier, directeur agroalimentaire de Bretagne Développement et Innovation, « les algues sont, avec le lait et la viande, des sources de protéines essentielles à l'alimentation des Chinois », dit-il. Or, les zones de production traditionnelles ne parviennent pas à suivre la croissance de la demande liée à la progression de la démographie. Jean-Paul Simier estime probable qu'il puisse y avoir « des tensions à dix-vingt ans sur l'accès à ces protéines ».
(1) Source : Pôle halieutique d'Agrocampus Ouest.