Alerte mondiale au manque de denrées vivrières
L’effet « domino » de la fonte des stocks céréaliers frappe les populations les plus démunies du globe, qui sont les citadins des villes et mégapoles des pays pauvres ou en développement. Les surplus céréaliers des Etats ont fondu, comme les stocks d’intervention de l’UE. Ils constituaient une bonne part des dons en nature ou des ventes à prix cassé. A cela s’ajoutent les mesures mises en place par de nombreux pays en Asie, en Afrique et en Amérique latine, pour limiter leurs exportations. « Il est devenu très difficile de trouver la nourriture », signale Nicole Ménage, chef du service des achats alimentaires du Programme alimentaire mondial (PAM) à Rome. Les coûts des denrées et de leur acheminement représentent une difficulté supplémentaire pour le PAM, qui réclame d’urgence 500 à 600 millions de dollars.
Certains pays ont recours à des accords bilatéraux. La Libye est sur le point de conclure un accord bilatéral avec l’Ukraine qui lui réserverait 100 000 hectares, précise Le Monde. L’Inde négocie avec le Kazakhstan. L’Egypte échange avec la Syrie du riz contre du blé.
Agro-carburants
La crise donne l’occasion à Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, de qualifier à nouveau la production généralisée de biocarburants de « crime contre l’humanité ». Moins cinglant, Jacques Diouf, directeur général de la FAO, rappelle que 100 millions de tonnes de céréales sont transformées en carburants, alors que le niveau des stocks de céréales s’est réduit à 405 millions de tonnes. Il est vrai que les Philippines et même le Sénégal ont leur programme de développement d’agro-carburant. Il est sûr aussi que le couplage sur les marchés à terme, des cours des grains et du sucre à celui du pétrole renforce la spéculation sur les denrées agricoles. Les prix s’envolent d’autant plus, parfois en dépit des fondamentaux. La FAO ne va pas jusqu’à mettre en cause l’industrie du Petfood, utilisatrice de céréales consommées par des populations humaines, comme le riz, ou la consommation croissante de produits animaux.
Du côté européen, le ministre français de l’Agriculture Michel Barnier comptait évoquer hier « l’insécurité alimentaire » à l’occasion du conseil des ministres de l’Agriculture à Luxembourg. Il avait insisté, jeudi dernier au Sénat, sur l’urgence d’une initiative européenne en la matière. La question d’aider prioritairement l’agriculture vivrière est posée avec plus d’acuité par la Banque mondiale, la FAO et l’Unesco.
Rapport écologique de l’Onu
Jacques Diouf (FAO) déplore l’effort insuffisant des banques internationales en faveur de l’agriculture, ainsi que l’absence d’une politique mondiale de protection des ressources en eau. Il appelle pour le court terme à une « opération massive de distribution de semences et de fertilisants » dans les pays menacés de pénurie alimentaire.
Par une coïncidence de calendrier, un rapport est rendu public par l’Unesco, soulignant « l’urgence » de changer les règles de l’agriculture mondiale. Ce rapport « sur l’état de l’agriculture dans le monde », était une initiative lancée en 2002 par la Banque mondiale et la FAO lors du sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg. Il va à première vue à l’encontre du principe libéral d’avantage comparatif. Il préconise que les sciences agricoles « prennent davantage en compte la protection des ressources naturelles et les pratiques dites agro-écologiques », plutôt locales, et une « plus grande proximité entre la production des matières agricoles et les consommateurs auxquels elles sont destinées ». Tandis que le secrétaire américain au Trésor Henry Paulson adresse un message aux pays en développement qui bénéficient de la hausse des matières premières, agricoles et autres, devant le développement de la Banque mondiale : aider de ce profit « une croissance plus forte et durable ».