Pierre Cazes, éleveur de limousines en Corrèze : « ma gestion des prairies améliore le fonctionnement du sol »
Pierre Cazes a mis en place, il y a six ans, des paddocks de 24 heures pour le pâturage de ses limousines et un plan de chaulage. Il mesure déjà les bénéfices sur la productivité et la qualité des prairies.


Installé hors-cadre familial à Espartignac en Corrèze en 2018, Pierre Cazes a développé un système basé sur le pâturage. « Je suis convaincu qu’on peut gagner plus avec l’herbe qu’avec les cultures, ici alors que le potentiel en céréales est assez bon, de l’ordre de 70 à 80 quintaux, comme dans beaucoup d’autres régions », présente l’ancien conseiller en élevage bovins viande dans l'Aveyron, originaire du Cantal. « L’herbe est équilibrée pour les besoins alimentaires d’un troupeau de bovins allaitants. On peut produire autant d’UF à l’hectare qu’avec un maïs, et en plus on a aussi les protéines. »
Pierre Cazes valorise aujourd’hui 165 ha, avec un parcellaire bien groupé, à 380 mètres d’altitude. Il a choisi de ne cultiver que 5 ha par an, en semis direct depuis 2020, en orge et épeautre. Cela lui permet de refaire derrière des prairies.
Reproducteurs et JB de moins d’un an
Pour lui, l’herbe n’est pas moins sûre que des fourrages annuels parce qu’elle est souple d’exploitation et se relève d’accidents comme la grêle ou la sécheresse. Elle permet d’être le plus productif possible, avec le moins de charges possible. « J’achète de la paille, mais je considère que j’achète du carbone pour nourrir le sol. »
« Un système très pâturant n’est pas forcément extensif. Je vends des reproducteurs évalués en station et des jeunes bovins de moins d’un an », relève aussi Pierre Cazes. Ses vaches de réforme s'affichent en moyenne à 530 kgC.
Il s’appuie pour modeler son système d’élevage sur une approche « système sol, plante, animal » suite à des formations du cabinet 5mVet. « Je cherche à faire exprimer tout le potentiel du sol, et je pense être sur la bonne voie, car j’augmente le chargement par hectare chaque année tout en restant autonome. » Le troupeau a connu une croissance régulière en sept ans, et le chargement est passé de 1,4 à 1,8 UGB/ha. Et chaque année, Pierre Cazes récolte plus de stocks, de meilleure valeur alimentaire.
Il a mis en place le pâturage tournant dynamique au moment de son installation avec l’appui de consultants de Rhizobium conseil. Cent trente-cinq hectares de prairies ont été découpés en paddocks de 0,5 ha pour 24 heures pour 30 couples mères et veaux. Avec la production d’herbe qu’il y avait à l’époque, 30 couples par paddocks, c’était trop. Une certaine amélioration de la productivité avait été anticipée. Celle-ci est déjà dépassée : maintenant, Pierre Cazes allote 32 ou 33 vaches suitées de veaux âgés de 2 à 9 ou 10 mois par paddocks de 0,5 ha.
« Passer de paddocks pour trois jours à des paddocks d’un jour fait progresser la production d’herbe d’un facteur de 1,3 », évalue-t-il. Sur ces premières années d’expérience, il a pu tester le dispositif pendant des sécheresses et en conditions très humides, avec aussi deux années favorables. « L’été se passe avec un paddock par 24 heures, en intégrant les repousses des parcelles de fauche, et en stockant les lots avec un râtelier de foin s’il faut le temps que la pousse reprenne. » En période très humide, il découpe en deux ou trois le paddock du jour, et déplace le fil plusieurs fois dans la journée quand le lot a fini de brouter, avant qu’il ne commence à piétiner.
Des couloirs avec fil avant et fil arrière
Si c’était à refaire, Pierre Cazes partirait sur un découpage en couloirs de 50 à 80 mètres de large avec fil avant et fil arrière. « Cela laisse plus de possibilités pour s’adapter à la taille des lots et organiser le travail. Par exemple en cas d’absence, on peut exceptionnellement donner l’équivalent de deux ou trois jours. » Il envisage aussi de réduire le nombre de lots. « J’en ai sept pour l’instant. Les veaux mâles ont des nourrisseurs, car ils sont vendus en jeunes bovins de moins d’un an de 350 kgC, un mois après sevrage. Les veaux femelles ne sont pas complémentés. »
L’éleveur estime que le repère du stade trois feuilles pour faire entrer des bovins dans un paddock est plus juste que celui de la quantité d’herbe estimée par la hauteur ou à l’herbomètre. « Selon la saison et la météo, on peut avoir un volume suffisant d’herbe sans que les plantes ne soient au stade où leurs réserves sont suffisamment reconstituées. »
Pierre Cazes essaie d’avoir des paddocks les plus carrés possibles, plutôt qu’en longueur, pour limiter les piétinements. Sur un îlot, il s’arrange pour ne pas toujours attaquer à la même saison sur le même paddock, sinon cela induit une sélection de la flore plus ou moins précoce sur chaque paddock. De même à l’automne, il tâche de ne pas terminer toujours sur la même zone du parcellaire, pour créer le décalage de pousse au printemps suivant pas toujours sur les mêmes parcelles. « Il ne faut pas non plus se donner trop de contraintes, il faut que ça reste pratique. »
En hiver, un lot de génisses d’un an pâture sans recevoir de foin. « Cette année, elles ont pris 368 grammes par jour. Il ne faudrait pas descendre en dessous de 500 grammes par jour et je prévois à l’avenir une complémentation à leur apporter au quad. » Un des atouts du pâturage hivernal pour Pierre Cazes est qu’il favorise le démarrage des légumineuses et génère un décalage de démarrage au printemps.
Fiche élevage
Des analyses sur toutes les coupes
« Je consacre un budget d’environ 1 000 euros par an pour faire analyser toutes les coupes de fourrages, ainsi que les lisiers et fumiers. C’est ce qui me permet de piloter », explique Pierre Cazes.
Les analyses montrent que les taux de calcium et potassium des fourrages et leur rapport sont maintenant conformes aux besoins des bovins, alors qu’ils étaient trop bas. « Cet équilibre montre le bon fonctionnement du sol. Pour aller chercher de la performance, le troupeau est quand même minéralisé. »
Les taux d’aluminium et de fer dans les fourrages sont par contre trop importants pour les bovins. « J’apporte pour contrer leur effet du silicium dans les rations, à raison de 1 gramme par jour et par vache. Dans l’hiver cela représente une facture de 300 à 500 euros. »
L’éleveur examine aussi via les analyses de fourrage la baca et la teneur en sucres.
Un chaulage de redressement planifié sur douze ans
À son installation en 2018, Pierre Cazes a identifié le besoin d’un chaulage de redressement sur les prairies.
« J’ai planifié un budget de 8 000 à 10 000 euros par an sur douze ans pour redresser tous les terrains de la ferme et bénéficier d’une bonne structure du sol », présente Pierre Cazes. À tour de rôle, chaque parcelle reçoit un amendement calcique trois ans de suite. Ces apports seront suivis d’un apport d’entretien tous les trois ans.
Cinq à six ans après avoir démarré, l’éleveur commence à faire analyser pour la deuxième fois certaines parcelles. « Je mesure déjà des résultats positifs », explique l’éleveur. Il sait qu’il faudra cependant compter dix ans pour que le sol évolue après des changements de pratiques.
Les premières parcelles qui ont reçu les apports de redressement et arrivent au premier apport d’entretien montrent une saturation de la CEC (capacité d’échange cationique) qui est bonne, et le pH, qui n’était pas catastrophique, a remonté. « Mon objectif qui est un pH entre 6,5 et 6,8 est atteint. Un autre effet des amendements est que le sol contient plus de calcium disponible ce qui favorise le développement des légumineuses. » C’est aussi un effet de la technique de pâturage.
Trois amendements différents sont utilisés. Pour les parcelles avec saturation de la CEC insuffisante, il apporte de la marne à raison de 3 tonnes par hectare ou bien du carbonate de calcium à la dose de 1,5 à 2 tonnes par hectare. Deux carbonates différents, l’un à 70 microns et l’autre un peu moins fin, à 110 microns, sont choisis pour les apports d’entretien.