Vin : les mentions traditionnelles vont-elles être sacrifiées ?
Un accord commercial de très grande ampleur est actuellement en cours de négociation entre l'Union européenne (UE) et les États-Unis ayant pour objet d'« éliminer les barrières commerciales dans de nombreux secteurs économiques, afin de faciliter l'achat et la vente de biens et de services entre l'UE et les États-Unis ». Dans le cadre de la négociation de cet accord de Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (accord TTIP), les parties entendent s'attaquer aux obstacles de toute nature pouvant être rencontrés dans les échanges, comme des différences de règlements techniques, des normes ou des procédures d'approbation.
Mais, si l'on entre dans le détail, il serait par exemple question d'autoriser les producteurs de vin nord-américains à utiliser les mentions « château » et « clos » pour des vins produits sur leur territoire, et qui seraient ainsi exportés en Europe, ce qui n'irait pas sans heurter la culture et la réglementation française. D'abord consacré par la pratique, depuis la moitié du XIXe siècle en bordelais, le terme « château » a été consacré par un arrêt de la Cour de cassation du 26 juin 1930 comme synonyme de l'exploitation viticole dont un vin était issu. Quant au terme « clos », il est utilisé sur tout le territoire national, mais particulièrement en Bourgogne.
Des réglementations récentes, d'origine nationale comme communautaire, ont protégé ces deux termes. Ainsi, le règlement communautaire no CE 607/2009 définit l'exploitation viticole dans l'étiquetage et la présentation des vins, en réservant les mentions qui s'y réfèrent aux vins produits exclusivement à partir de raisins récoltés dans les vignobles exploités par cette exploitation et dont la vinification est entièrement faite sur place.
« Clos » et « château » réservés à la France... jusqu'à quand ?
Une annexe de ce règlement précise que les termes « clos » et « château » sont ainsi réservés pour la France. La réglementation française est tout aussi protectrice de ces termes et des conditions dans lesquelles ils peuvent être utilisés.
Le consommateur américain, lui, est à des années lumières du consommateur européen en termes d'exigences alimentaires et de protection des produits. Comme cela était déjà apparu en 1996 – lorsque les États-Unis et l'Australie avaient élevé devant l'OMC une plainte contre l'UE visant l'absence de réciprocité qui découlait de son système de protection des IGP et AOP – ces pays de culture anglo-saxonne, qui ne protègent qu'exceptionnellement la qualité et l'origine, ont tendance à juger nos protections nationales ou communautaires injustifiées.
Il s'agirait selon eux d'une barrière à l'entrée ou un obstacle au commerce à abattre. Tels sont, au regard des mentions traditionnelles françaises, les enjeux des négociations en cours axées sur la volonté de favoriser les échanges.
Peu d'information de la part de la Commission
Malheureusement, les informa-tions sur l'avancée des négocia-tions sont peu nombreuses, il est donc difficile d'en surveiller l'évolution. C'est la Commission européenne qui a reçu mandat de négocier au nom des 28 États membres et de l'UE. En principe, la Commission doit tenir les États membres informés de l'évolution des négociations, mais ce n'est pas toujours le cas. Il est arrivé que le Parlement européen en vienne à dénoncer l'absence de transparence de la Commission, ce qui correspond à une perte de temps car une fois l'accord conclu, il devra de toute façon être approuvé par le Parlement et le Conseil ; ce qui implique la possibilité de le rejeter en cas de désaccord avec son contenu.
Souhaitons donc que la Commission n'oublie pas quelles sont les valeurs du consommateur européen, de façon à ne pas lui faire croire, un beau jour, que les « clos » ou autres « châteaux » américains qui lui sont proposés présentent les mêmes garanties que les vins français ainsi dénommés alors qu'il n'en sera rien.
LPLG Avocats regroupe une dizaine d'avocats et juristes privilégiant la proximité avec leurs clients et la connaissance de leur métier. Outre son activité plaidante, il fournit des conseils juridiques favorisant la prévention par rapport au contentieux et intervient surtout en droit économique (concurrence, distribution, consommation, propriété intellectuelle, contrats…). Maître Didier Le Goff a développé une compétence générale en droit économique avec une prédilection pour l'agroalimentaire, et s'est aussi spécialisé en droit des marques qu'il enseigne en master II Droit de l'agroalimentaire de l'université de Nantes.