Une peur chasse l'autre
Le 13 octobre restera sans doute comme une date clé du feuilleton de la grippe aviaire. Jeudi dernier, les dépêches d'agence de presse ont commencé à tomber sur les écrans des journalistes à un rythme soutenu avec un en-tête répétitif : « Urgent - Grippe aviaire ». Ce jour-là, la Roumanie a donc confirmé l'existence d'un foyer sur son territoire (dont on sait aujourd'hui qu'il était bien le H5N1). Et la Turquie identifiée la présence du virus sur des volailles mortes, ce même virus qui sévit depuis plusieurs années en Asie où il a provoqué la mort d'une soixantaine de personnes. De la journée du 13 octobre, le défilé des dépêches ne s'est pas interrompu : avalanche de mises en garde des scientifiques sur la menace d'une pandémie, débauche d'appels à la vigilance de la part des producteurs, rafales d'annonces d'embargo sur les volailles roumaines et turques…
Cet emballement subit n'est pas sans en rappeler un autre. Celui qui balaya l'Europe lorsqu'un jour de 1996, le gouvernement britannique confirma l'existence d'une transmission de l'ESB à l'homme. Mêmes pronostics dramatiques, même précipitation des décisions, même psychose de l'opinion face à un mal insaisissable. Tout concorde, en apparence. A une différence près, et de taille. C'est que l'ESB s'est transmise à l'homme par l'ingestion de certains produits animaux contaminés. Dans le cas du virus H5N1, ce sont des animaux vivants qui se contaminent entre eux et peuvent transmettre éventuellement la maladie à l'homme dans le cas d'une promiscuité prolongée. Mais pas les produits issus de ces élevages. La consommation de volailles cuites (mais à plus ample informé c'est le mode de préparation habituel) ne représente donc aucun danger. Il n'est pas sûr que l'opinion l'entende de cette oreille. Les professionnels s'interrogeaient, dès les premières heures de l'explosion médiatique, sur ses conséquences négatives sur les achats de volailles.
Il n'est pas question ici de minimiser la menace d'une expansion du virus en Europe. Mais bien de rappeler que le H5N1 est d'abord une maladie animale qu'il ne s'agit pas de confondre avec un autre péril, bien réel, mais qui n'est pas ici en cause, d'une pandémie humaine « qui n'aura peut-être aucun rapport avec le virus H5N1 asiatique», écrivait récemment la vétérinaire Jeanne Brugère Picoux. L'urgence, c'est donc d'accroître les moyens de lutte contre la maladie animale, pour éviter que des mutations du virus H5N1 permettent l'émergence d'un virus très pathogène et transmissible d'homme à homme. « Si l'on distribuait 10 % des sommes qu'on engage dans la recherche de vaccins humains à la lutte contre la maladie chez l'animal, on aurait déjà mis fin au problème », assurait un haut responsable de la FAO dans une dépêche. Mais, noyé dans le flot d'informations alarmistes de ce 13 octobre, son appel sera-t-il entendu ?