« Sur les quotas, la position de Bruxelles est consternante »

Les Marchés : Pensez-vous que le gouvernement (et la DGCCRF) est directement responsable de la crise laitière actuelle en ayant interdit en avril 2008 à l’interprofession laitière de recommander un prix du lait au niveau national ?
Jean-Michel Lemétayer : À partir d’indices, l’interprofession pouvait donner une piste sur l’évolution du prix du lait. La DGCCRF et le gouvernement ont commis une énorme erreur en retirant l’outil indispensable au bon fonctionnement de la filière laitière. Le gouvernement, en particulier Luc Chatel (secrétaire d’État chargé de l’Industrie et de la Consommation, ndlr) et Michel Barnier, doivent comprendre que les lignes directrices pour la fixation du prix du lait payé aux producteurs doivent être identifiées au sein de l’interprofession, donc au niveau national. Nous avons beaucoup insisté sur ce point et le message semble avoir été entendu puisque le gouvernement vient de redonner son rôle au Cniel (Centre national interprofessionnel de l'économie laitière, ndlr) dans la fixation des règles et des modalités. Il responsabilise de nouveau la filière à travers l’interprofession. C’est la seule solution pour que toutes les entreprises respectent ces recommandations. La filière a besoin d’indicateurs clairs pour savoir sur quelle base rémunérer ses producteurs. Il existe bien des cotations pour d’autres matières premières comme le porc, et pourtant personne ne critique le marché au cadran de Plérin. Il ne s’agit pas de trouver une entente. Il faut rappeler à Luc Chatel et à la DGCCRF que les producteurs ne sont pas concurrents entre eux.
Un système de cotation pour le lait doit être mis en place pour rémunérer les producteurs. L’ensemble des acteurs doivent aller de l’avant et trouver un accord sur les orientations du prix du lait pour l’ensemble de l’année 2009. Le fonctionnement correct de la filière passera par un cadre contractuel, dans lequel les modalités de paiement sont précisées. L’idée de revenir aux indicateurs de 1997 est très présente dans les esprits. Même Olivier Picot (président d’Atla, Association de la transformation laitière française, ndlr) y est favorable.
LM : Qu’attendez-vous du gouvernement pour sortir de la crise ?
J.-M. L. : Le gouvernement doit peser sur les entreprises pour qu’elles prennent davantage en considération la matière première qu’elles rémunèrent, et donc leurs producteurs, plutôt que de privilégier leurs actionnaires. Il doit également agir auprès des entreprises les plus en difficulté. Le gouvernement ne pourra pas se désintéresser des producteurs de lait. Des mesures de soutien doivent être prises. Le prix du lait varie selon les saisons mais il est possible d’avoir une idée du prix moyen annuel. Les entreprises ont bien de la visibilité pour prévoir leur résultat d’exploitation, les producteurs de lait en ont besoin également. Le secteur laitier est dans le même schéma que d’autres productions : il ne pourra pas échapper à la volatilité des coproduits beurre-poudre. Nous entendons bien ce contexte et le besoin d’être réactif aux marchés mais il faut donner de la visibilité aux producteurs. Un travail important reste à fournir.
LM : Que pensez-vous de la position de la Commission européenne de ne pas revenir à des outils de régulation ? Et existe-t-il un espoir d’infléchir sa position concernant notamment la disparition des quotas ?
J.-M. L. : Je me bats depuis longtemps contre l’absurdité de la Commission européenne. Dernièrement, elle a décidé d’augmenter les quotas alors que le marché ne le permettait pas. Notre demande sur le gel des 1 % de quotas a été rejetée, et ce par une majorité d’États membres. Les nouveaux pays entrés dans l’Union européenne sont en train de comprendre que produire plus n’est pas la solution. Ils s’interrogent davantage sur les parts de marché à prendre.
La position intransigeante de la commissaire européenne Fischer Boel est choquante et consternante. Elle ne veut pas entendre parler de régulation. Il est aberrant que le système de quotas ne puisse pas être utilisé en fonction des besoins du marché. Nous pourrions les augmenter ou les baisser si le marché le demande. Madame Fischer Boel n’est pas d’accord avec moi, nous n’avons pas la même vision de la Politique agricole commune. Le gel des 1 % aurait permis d’éviter de mettre 1,4 million de tonnes de lait en plus sur le marché européen. Les conséquences n’auraient pas été les mêmes.
L’espoir est faible de voir la Commission européenne changer d’avis, surtout que la majorité des États membres soutient sa position. C’est très inquiétant pour l’avenir.
LM : Selon Jean-François Copé, la situation actuelle de la filière laitière préfigure l’avenir pour d’autres secteurs agricoles, avec notamment la disparition des organisations communes de marchés (OCM). Partagez-vous cet avis ?
J.-M. L. : Il partage le mien. C’est de la récupération politique en période de campagne électorale. Depuis longtemps déjà, la Commission démantèle les outils de régulations, et en particulier les organisations communes de marchés. Nous demandons donc que les politiques fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour modifier la ligne directrice prise par la Commission européenne. Elle est en train de nous emmener vers un marché de compétitivité, sur lequel la concurrence est accrue. Je ne peux pas imaginer que la nouvelle Pac s’engage dans une voie de plus en plus libérale. Nous devons être capables d’envisager autrement l’avenir que par la seule loi du marché.