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«Sur l’équarrissage, les faits nous ont donné raison»

La Fédération nationale de l’industrie et du commerce en gros des viandes (FNICGV) tient son assemblée générale vendredi et samedi à Strasbourg. Son président, Laurent Spanghero, candidat à un nouveau mandat, revient sur les événements qui ont agité la filière élevage-viande ces dernières semaines : les négociations avec le Mercosur, la réforme de la Pac, mais surtout l’équarrissage à propos duquel il défend l’application d’une répercussion de la taxe d’abattage à l’aval de la filière, «sous conditions ».

Les Marchés : Vous revenez du Congrès mondial de la viande à Winnipeg. Quels enseignements en avez-vous tirés ?

Laurent Spanghero : Ce que j’en retiens, c’est d’abord l’émergence des pays du Mercosur sur le marché mondial. Elle apparaît de façon de plus en plus prégnante d’année en année. Les Sud-Américains ne cachent pas leurs ambitions. Leur objectif, c’est de faire progresser leur production de viande de 18 à 30 millions de tonnes dans les 10 années qui viennent. Quand on voit le potentiel dont ils disposent, ça n’a rien d’irréaliste.

Et puis, ce qui m’a frappé aussi, hélas, c’est que l’Europe, qui aurait beaucoup de choses à dire sur l’organisation des marchés ou sur les questions sanitaires, n’est pas considérée au plan mondial. Elle est même mise au banc des accusés, sous prétexte qu’elle entraverait le commerce international. Sur ce point, il faut pourtant rétablir la vérité : tous les pays du monde vendent de la viande à l’Europe, à commencer par le Brésil dont nous absorbons 35 % des exportations !

LM : Faut-il craindre que ces pays émergents ne finissent par évacuer les Européens de leur propre marché ?

L. S. : Je ne suis pas d’un pessimisme exagéré. Notre jardin, c’est et ça restera l’Europe. C’est un grand marché et nous avons la chance qu’il se soit agrandi. Si je devais conseiller mes adhérents, je leur dirai de regarder dans cette direction, vers la Pologne, la Tchéquie. Il y a des choses à faire et un potentiel de production à développer. Et puis il y a aussi le Maghreb, un marché de proximité avec des populations jeunes et en croissance rapide.

LM : Oui, mais votre principal marché, le marché intérieur, reste lui très national, en dépit de l’éloignement de la crise bovine.

L. S. : C’est vrai, et c’est pour cela que nous nous battons pour obtenir un étiquetage Union européenne et non plus strictement national qui puisse redonner de la fluidité à ce marché. Il faut bien avoir conscience que la nationalisation du marché de la viande bovine, via l’étiquetage français, pèse fortement sur les prix. Or à 15 ou 18 euros le kilo de rumsteck, on prend le risque majeur de faire perdre aux consommateurs français jusqu’à l’habitude de manger régulièrement de la viande rouge. Si cela arrivait, il serait alors très difficile de faire marche arrière, comme le montre le précédent du marché de l’agneau. Si l’on a l’opportunité de proposer aux consommateurs de la viande bovine deux fois moins chères, il faut pouvoir le faire.

LM : Ne craignez-vous pas que, dans ce contexte, la réforme de la Pac n’affaiblisse le potentiel français de production ?

L. S. : Je ne le crois pas. En choisissant le découplage partiel des aides, la France a fait le moins mauvais choix et on va garder des capacités importantes, en comparaison d’autres pays. Le maintien des quotas laitiers est peut-être plus inquiétant. On risque d’avoir moins de vaches disponibles.

LM : Revenons-en à la France. Vous réclamez depuis quelques mois un assouplissement des mesures de précaution relatives à l’ESB. N’est-ce pas un peu risqué ?

L. S. : Ce que nous demandons, c’est d’abord que l’on soit raisonnable. En France, nous avons été les champions du monde des mesures de précaution. C’est bien. Mais il faut aujourd’hui s’adapter à une situation sanitaire qui a beaucoup changé. Rapportés à chaque cas détecté, les tests ESB menés sur des animaux de moins de trente mois reviennent à 80 millions d’euros. Et puis je vais vous donner un exemple : chez moi, dans l’Aude, on n’a pas trouvé un seul cas d’ESB depuis 4 ans. Pas un seul sur environ 80 000 animaux ! Et nous ne sommes pas les seuls : la moitié des abattoirs français n’a pas décelé un seul cas.

Concrètement, ce que l’on souhaite, c’est que l’on applique l’harmonisation communautaire, car il ne faut pas raconter d’histoires, c’est la réglementation européenne qui prévaut aujourd’hui dans ce domaine. Or cette harmonisation n’est pas respectée. Nous souffrons de nombreuses discriminations, comme celle qui permet à certains pays de valoriser les farines animales dans le pet food quand nous ne le pouvons pas. Ou comme celle qui fait que la tête d’agneau est autorisée dans certains pays sur le marché de la consommation humaine alors qu’elle est interdite en France. Notre action syndicale n’est pas sans résultats. Nous avons obtenu le relèvement de l’âge des tests aux animaux âgés de plus de trente mois à compter du 1er juillet et je ne désespère pas que nous obtenions satisfaction sur la fraise de veau, dont l’exclusion est complètement incohérente avec les dispositions qui prévalent sur le mouton. Mais je ne peux faire autrement que constater et regretter le conservatisme et l’immobilisme des pouvoirs publics français sur ces dossiers.

LM : Venons-en enfin à la question qui secoue actuellement le secteur de la viande, celle de l’équarrissage. Les organisations professionnelles s’opposent aujourd’hui sur le principe d’une répercussion de son coût en pied de facture des abatteurs, que vous continuez à soutenir. Pouvez-vous expliciter votre position ?

L. S. : Sans revenir sur l’historique de ce dossier très complexe, je voudrais en rappeler le contexte immédiat. Quand la question du financement du service public de l’équarrissage est revenue, bien malgré nous, entre les mains de la filière élevage-viande, la position des pouvoirs publics -en l’occurrence celle de Renaud Dutreil- était claire : c’était celle de l’application du principe pollueur payeur. Concrètement, chacun paye pour les déchets qu’il produit. On nous a alors expliqué que, comme les éleveurs devaient être exemptés de cette charge, le principe d’une répercussion de ce coût par les abatteurs auprès de leurs clients -les bouchers, les GMS, la RHF, les industriels- serait adopté. Pour nous, je le rappelle, la taxe d’abattage représente une hausse de 50 % du coût d’abattage, soit l’équivalent de nos frais de personnel. Pour un abattoir comme celui de Castelnaudary, c’est environ 1 million d’euros par an.

Selon nous, le principe d’une telle taxe était concevable à partir du moment où on pouvait la répercuter effectivement en pied de facture à nos clients et l’inclure dans notre comptabilité comme, par exemple, une prime qualité. A force de persuasion, nous avons obtenu que les acheteurs, dans leur grande majorité, se plient à cette obligation. Et les résultats sont là : aujourd’hui, tous les distributeurs -sauf une enseigne- et 90 % des bouchers l’ont intégré, seule une partie de la restauration ou de l’industrie rechignant encore. Et même si l’application est moins uniforme dans le secteur porcin -pour lequel la facture est moins lourde-, notre position apparaît comme la seule tenable. Je ne peux que constater que d’autres organisations et entreprises du secteur s’y sont finalement ralliées.

Mais il faut que les choses soient claires. Pour pérenniser la situation, il est nécessaire que le gouvernement rende publique et impose un modèle de facture applicable à tous. J’ai bon espoir que cela soit fait très vite. Si tel n’était pas le cas, je ne vois pas pourquoi nous devrions payer pour une partie des déchets dont la charge ne nous est pas due, comme les cadavres en ferme ou les saisies d’abattoirs. En l’occurrence, nous rendons un fier coup de main aux éleveurs, il faut qu’ils en aient conscience. Plus globalement, je compte bien me battre pour que la facture de l’équarrissage soit réellement proportionnelle à son coût. Car celui-ci n’est pas inscrit dans le marbre, compte tenu de l’assouplissement des mesures de précaution. Il faut aussi que l’on se rende compte que la croissance des coûts, de la mise en place des 35 heures aux charges multiples qui pèsent sur les entreprises sont devenues insupportables.

LM : Serez-vous à nouveau candidat à la présidence de la FNICGV lors de ce Congrès ?

L. S. : Oui, mais dans des conditions adaptées aux conditions de fonctionnement d’une fédération telle que la nôtre. La modification de nos statuts prévoit la création de huit commissions thématiques (lire encadré) dirigées par des professionnels et qui auront un pouvoir de représentation. Et nous avons créé deux postes de cadres, l’un sur le porc et l’autre sur les questions juridiques. Je serais donc moins pris. Mais ces derniers mois m’ont confirmé que nous étions plus que jamais indispensable. Entre autres parce que nous avons notre dimension européenne, un caractère réellement pluraliste mais aussi un fonctionnement démocratique.

 

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