Spéculations
La mise en cause du monde agricole français et de ses orientations industrielles et politiques dans la crise mondiale des céréales est un peu paradoxale. Jean-Michel Lemétayer, réélu cette semaine à la présidence de la FNSEA, a eu beau jeu de rappeler jeudi aux journalistes qu’il était fier que son syndicat ait toujours soutenu l’idée d’une agriculture nécessairement « productive », si ce n’est productiviste. En effet, ce ne sont pas les organisations agricoles françaises qui militent pour un découplage total et malthusien des aides agricoles à la production ; ce ne sont pas elles non plus qui sont responsables de l’abandon progressif du financement public du stockage. Ces options, comme celle de l’ouverture de l’Europe aux importations bon marché pour faire baisser les prix intérieurs, ce sont celles qu’ont prises la Commission puis les gouvernements, à l’encontre de ce qu’ont toujours préconisé les organisations agricoles et malgré leurs réticences. Force est de constater qu’en se privant d’une politique agricole réactive aux marchés, Bruxelles s’est trompé. Encore faudrait-il le reconnaître. Reste la responsabilité des biocarburants. Xavier Beulin, le premier vice-président (également réélu) de la FNSEA, a eu raison de faire valoir qu’il s’agissait, en France, d’un phénomène relativement marginal : 2 % des surfaces si l’on intègre dans le « bilan » des surfaces les coproduits destinés à l’alimentation animale. Si « crime contre l’humanité » il y a, il faut donc le chercher ailleurs sur la planète. Le débat de ces derniers jours masque une réalité moins manichéenne, mais non moins inquiétante. C’est que la flambée des prix, du riz par exemple, est moins le fruit d’une inadéquation entre l’offre et la demande ou d’une fonte des stocks, que d’une entrée -ou d’un retour- fracassant du monde de la spéculation financière dans celui des matières premières agricoles. Si le phénomène persistait, il pourrait transformer une crise conjoncturelle en une crise structurelle, assure Philippe Pinta, le président d’Orama, l’organisation des producteurs français de céréales. Laisser les fonds de pension s’emparer des silos et de l’arme alimentaire pour des profits à court terme, c’est peut-être bien cela qui serait criminel.