Sots et canailles
Jonathan Swift, génial auteur irlandais des Voyages de Gulliver, assignait comme but à son œuvre la dénonciation des « canailles et des sots ». Pour lui, les seconds valaient les premiers dans la réprobation, ce qui est assez bien vu. Les premiers sont dangereux par la sorte de charme qu’ils exercent sur les honnêtes gens. Sur mon marché du dimanche, le marchand de légumes est une canaille. Sympathique, enjôleur, baratineur, mais une canaille. La pesée est fausse, l’addition inexacte, la monnaie mal comptée, le prix des fraises est donné à la mâche et celui des morilles à la charlotte. Mais notre homme sait invoquer le temps qu’il fait, les catastrophes lointaines ou d’improbables révolutions centre-américaines pour justifier ses prix. D’ailleurs, il consent à les rabattre un peu si je lui démontre que les rebelles n’ont toujours pas pris le pouvoir au Nicaragua, et que les ananas de la Martinique ne sont pas concernés par les élections à Tahiti (sic). Hélas, il y a aussi des sots, comme ce boucher qui veut me servir une viande qui n’a que quatre jours de maturation et qui rétorque à ma remarque : « Et alors, ç’est-y pas de la fraîcheur, ça ? » Comme quoi, s’il faut n’être point sot pour être escroc, il faut être bien bête pour paraître si sot.