Pour nourrir le monde en 2050, il faudra moins gaspiller
Bonne nouvelle : « il serait possible de nourrir le monde en 2050 dans des conditions compatibles avec un développement durable, notamment sur le plan environnemental », estime une équipe de chercheurs de l’Inra et du Cirad, travaillant depuis deux ans sur « Agrimonde », un projet commun de prospective. Mais ce défi ne pourra être relevé que sous certaines conditions, dont la principale : une diminution des calories totales consommées dans les pays développés.
Pour établir un premier scénario, les scientifiques ont d’abord observé l’évolution des systèmes agricoles et alimentaires mondiaux entre 1961 et 2003. « On a vu des choses que personne n’avait vu avant », a assuré Marion Guillou, présidente de l’Inra, en marge d’un colloque international organisé, hier, par les deux organismes de recherche à Paris, sur l’innovation en matière agronomique. Certains résultats vont à l’encontre des idées reçues. « En 40 ans, la population mondiale a doublé passant de 3 à 6 milliards d’habitants -une telle évolution n’était jamais arrivée dans l’histoire de l’humanité- et dans le même temps, la disponibilité alimentaire mondiale est passée de 2500 à 3000 kcal par personne (ndlr : de 2400 en Afrique à 4000 dans les pays de l’OCDE) », a-t-elle résumé. Il y a donc eu une intensification de la production, y compris en Afrique Sub-saharienne (où elle a été multipliée par deux).
14% à 30% des denrées sont jetées
En 1960, il fallait en moyenne 0,45 ha pour nourrir un habitant, aujourd’hui il suffit de 0,25 ha, grâce au doublement des rendements végétaux. L’Inra et le Cirad notent toutefois des écarts de rendement qui se creusent entre les régions, de 1 à 3,4 aujourd’hui (contre 1 à 2 en 1961). Dans ce contexte, peut-on envisager de nourrir la planète à l’horizon 2050, tout en préservant l’environnement ?
Oui, répond l’équipe conjointe de chercheurs, à condition de freiner le phénomène qui veut que hausse des revenus dans les pays développés s’accompagne de croissance des consommations alimentaires. Les chercheurs ont imaginé deux variantes à leur scénario. Première variante : en 2050, les 9 Mds d’humains disposent en moyenne de 3 500 kcal/jour/habitant, dont une part importante provient de biens d’origine animale. Deuxième variante : les régimes alimentaires convergent et la consommation moyenne s’approche des 3 000 kcal/jour/habitant, dont 15 % de produits animaux. Dans les deux cas, les rendements doivent s’accroître grâce au développement de variétés et au choix d’espèces plus résistantes au manque d’eau ou à des variabilités de températures plus fortes et plus aléatoires.
La recherche sur la lutte intégrée doit être intensifiée. Dans le même temps, une traque au gâchis à tous les maillons de la chaîne doit s’organiser. « Entre 15 et 35 % des produits alimentaires sont directement gâchés au champ en Afrique. Dans les pays développés, 14 % à 30 % des produits sont jetés au niveau de la consommation », précise Marion Guillou. 10 à 15 % supplémentaires seraient perdus au cours de la transformation, du transport et du stockage. « Le défi est immense, il est collectif, mais il est à notre portée », concluent les chercheurs. La première variante du scénario poserait toutefois des problèmes à l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient où les ressources en eau sont limitées. Pour nourrir leurs populations, ces zones devraient poursuivre leurs importations. « Et il importe, avec un souci d’équité sociale et pour éviter que les émeutes de la faim se multiplient, que ceux-ci aient lieu dans un cadre public mondial stabilisé », estiment l’Inra et le Cirad.