Pêche : « Les Bretons savent gérer les quotas »

Les Marchés : Quel regard portez-vous sur les propositions de réforme de la politique commune des pêches inscrites dans le livre vert que la Commission européenne vient de publier ?
Jacques Pichon : La remise à plat du système de gestion des quotas, la gestion basée sur les quotas individuels transférables : ce sont des idées qui ne me surprennent pas. C’est un document d’orientation ultra-libérale forcément maximaliste, mais ce n’est qu’une base de discussion. On ne peut pas décider de tout remettre à plat tant qu’on n’a pas traité de la question des surcapacités de pêche au niveau européen.
LM : L’actualité récente a montré la colère des pêcheurs du nord de la France, réclamant plus de quotas de cabillaud. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Partagez-vous leur dépît ?
J. P. : Il y a un réel problème dans cette région. S’il y a moins de problèmes de quotas en Bretagne, c’est tout simplement qu’on a réduit le nombre de bateaux. Il existe dans le Nord des surcapacités de pêche qui les empêchent de bien gérer leurs quotas. C’est la seule région qui connaisse régulièrement des problèmes de quotas, et émarge le moins aux plans de sortie de flotte. Les organisations de producteurs bretonnes, elles, ont pris des mesures de gestion des quotas pour éviter la pénurie, même si on a mis en difficulté certains de nos adhérents qui se sont inscrits au plan de sortie de flotte. Pêcheurs de Manche et Atlantique a été créé dans cette perspective : optimiser la gestion des quotas.
LM : Le gouvernement vient d’initier une expérimentation portant sur la gestion individuelle des quotas administrés par l’état. Qu’en pensez-vous?
J. P. :Le gouvernement est parti du postulat suivant : le système actuel (quotas collectifs gérés par espèce et zone de pêche, ndlr) a montré ses limites. D’où son idée de responsabiliser les producteurs par un quota individuel. Le ministre Michel Barnier en avait parlé en septembre au congrès de la coopération maritime, à Saint-Malo, se déclarant ouvert à la consultation. Nous lui avons décrit notre façon de gérer les quotas. Et c’est cette méthode qui a été adoptée pour l’expérimentation démarrée le 1 er janvier 2009. PMA s’est vu attribuer, en 2008, 30 % des quotas français toutes espèces confondues. L’essentiel des activités de pêche de ces adhérents de PMA se situant dans les eaux occidentales, nous n’avons que très peu de droits de pêche en Manche est et en mer du Nord. PMA gère 50 % des quotas de baudroie (lotte) et de langoustines, 60 % des espèces d’eau profonde (empereur…), etc.
LM : Comment gérez-vous ces quotas ?
J. P. : Un armateur détenant des références historiques sur des stocks d’espèces d’eau profonde peut pêcher le merlan et l’églefin ; un autre, mis en difficulté par la crise de l’anchois, peut pêcher la langoustine, etc. Tout changement de ce type devant faire l’objet d’un examen pour voir si les disponibilités en quotas existent et si cela ne compromet pas les mesures de gestion prises par l’organisation. Au final, malgré un contexte de crise particulièrement difficile qui a vu un grand nombre de quotas importants pour nos flotilles se restreindre, aucun des stocks n’a été fermé depuis 2005. Ces mesures de gestion limitent l’accès à certaines pêcheries à des bateaux qui en font régulièrement la demande. L’OP dispose d’un tableau de bord qui donne à tout moment dans l’année le niveau de captures atteint par chaque adhérent. Les nouvelles adhésions aux organisations de producteurs s’entendent uniquement si le bateau apporte des antériorités de pêche, c’est-à-dire une référence pour l’accès aux stocks. Sinon, nous l’orientons vers la ligne, la palangre ou la coquille Saint-Jacques, mais pas sur le cabillaud.
LM : Cette politique porte-t-elle vraiment ses fruits ?
J. P. : Nous utilisons entre 95 et 100 % de nos quotas, mais avec les plans de sortie de flotte, on commence clairement à avoir de la place sur certaines espèces, comme la lotte par exemple. Mais nous ne devons pas nous précipiter. Tôt ou tard, l’Europe devra se conformer aux objectifs du sommet de Johannesburg (2002) sur les rendements maxima durables, et mettre en place un plan de gestion sur la lotte. Cette politique n’est possible que parce que les autres organisations de producteurs de Bretagne (Opob et Cobrenord) font la même chose, et parce que nos adhérents, qui sont pour une grande majorité des chalutiers, sont suffisamment polyvalents.
LM : En revanche, la mise en marché de votre production reste problématique. Les ventes sous criée connaissent plus de bas que de haut, en ces temps de crise économique...
J. P. :Notre production est virtuelle, elle correspond à la somme de bateaux individuels qui vendent seuls principalement en Bretagne, à des acheteurs qui servent la distribution. C’est là qu’il y a un problème. Nous avons un volume important qui se trouve dispersé entre un grand nombre d’acheteurs, lesquels vendent à une distribution concentrée. Je ne rends pas responsables les mareyeurs qui sont également soumis à la pression de la grande distribution. Mais nous avons l’obligation de valoriser le fait que nous détenons jusqu’à 50 % du quota européen pour des espèces telles que la lotte, la raie, le saint-pierre… tout en faisant valoir des pratiques de pêche durables et responsables. Nous devons y réfléchir parce que la situation actuelle n’est satisfaisante pour personne.