« Nous avons déjà connu cette situation »
Les Marchés : La fermeté actuelle des prix agricoles vous surprend-elle ?
Jean-Marc Boussard : Non. mais les prix sont surtout devenus plus volatils. Nous n’avons pas fini de voir les prix agricoles monter et descendre, et pas uniquement à cause des biocarburants. Le monde a changé, nous sommes passés d’un système de gestion des excédents à un système de gestion de la pénurie, mais là, les risques sont réels. Dans les modèles que nous avions mis au point à l’Inra, il y a trois ou quatre ans, en partant des condition de l’an 2000, nous avions pu entrevoir que le prix du lait doublerait entre 2007 et 2008. Les événements ont tendance à nous donner raison.
Les Marchés : L’impact des biocarburants sur ce phénomène est-il aussi prononcé qu’on le laisse entendre ?
J-M B : Les biocarburants sont une bombe à retardement dont on n’a pas encore vu les effets. Tant que le pétrole est à 70 $, il fait jeu égal avec les agro-carburants. Le point de basule est au dessus de 80 $. À 100 $, pas de doute que les biocarburants deviennent rentables, même sans dispositif fiscal. À ce moment là, oui, cela fera très mal sur les prix alimentaires. L’Europe et les USA sont assez riches pour se payer l’alimentation, ce qui n’est pas le cas dans les pays du sud. Dans tous les pays, les prix ont tellement baissé ces dernières années que les agriculteurs se sont découragés…
Il faudrait que les gouvernements reprennent les choses en main, qu’on réinstalle des systèmes de régulation de l’offre agricole, comme il en existait dans les années 1930 ou 1950 même s’ils avaient des défauts. C’est une hérésie de compter sur le marché pour réguler les produits agricoles. Soutenir les agriculteur n’est pas à faire en soi, par contre éviter qu’ils mettent la clé sous la porte oui !
LM : Cette situation a-t-elle des précédents ?
J-M B : Oui. Nous avons déjà connu cela en Europe, dans les années 1840, lorsque l’Irlande exportait des céréales mais que le pays crevait de faim. Et en France aussi. Plongez-vous par exemple dans la propagande libérale de la fin du XVIII e siècle. Notamment le texte de l’Abbé Galiani « Dialogue sur le commerce des blés », c'est très joliment écrit et l’on se croirait à… l’Organisation mondiale du commerce. Turgot et les conseillers du jeune Louis XVI ont été les chantres du libéralisme. Ils ont vu ce que cela pouvait donner. Celà a abouti au 14 juillet.