L’ombre de la grippe sur l’élevage vietnamien
Le traumatisme de la grippe aviaire est encore vif dans la province de Thai Binh, au nord du Vietnam, et le spectre d’une rechute est dans tous les esprits. Mais faute d’alternative économique, les éleveurs de volailles ont repris leurs activités. Les revenus avicoles sont essentiels pour cette province côtière très pauvre, à 100 kilomètres à l'est de Hanoï, dont le revenu annuel par habitant plafonne à 200 dollars, cinq fois moins que dans la capitale.
Le Vietnam a officiellement annoncé le 30 mars dernier avoir éradiqué le virus de la grippe aviaire, qui a fait 16 morts dans le pays. Un empressement critiqué par les experts des Nations unies, qui craignent une rechute de grande ampleur et préconisaient d’attendre au minimum trois mois après l’apparition du dernier foyer d’infection pour repeupler les élevages.
Mais à Thai Binh, comme dans beaucoup d’autres régions rurales du pays, les paysans ne pouvaient attendre. « L'épidémie peut revenir facilement dans la province», admet Do Dinh An, directeur-adjoint du Département de l'Agriculture. « Mais environ 90% de la population vit de l'agriculture. On n'a pas eu d'autres solution que de relancer la production ». Depuis, les autorités locales gèrent le quotidien avec le peu de moyens dont elles disposent. Bui Van Manh, 33 ans, aurait sérieusement besoin d’aide. Il avait 1 000 poulets avant l’épidémie et en a abattu 500. Les autres, qui auraient eux aussi dû être détruits, ont été vendus à la sauvette. Depuis 40 jours, il a repris sa production.
« J’ai perdu 30 millions de dongs (environ 1 500 euros). J’ai reçu 2,5 millions en compensation des poulets abattus», dit-il. « Je dois encore 17 millions à mon fournisseur de nourriture animale. Selon les conditions du marché, je mettrai deux ou trois ans à récupérer». Depuis le début de la crise, la province a adapté les consignes officielles les plus strictes à la réalité quotidienne des éleveurs. Théoriquement, tous les élevages auraient dû être abattus dans un rayon de trois kilomètres d’un foyer d’infection. A Thai Binh, les autorités ont officiellement réduit ce cordon sanitaire à 500 mètres.
Des consignes pas toujours respectées
Mais même cette consigne n’est pas respectée : 300 mètres à peine séparent la ferme de Manh de celle de son confrère Nguyen Xuan Kieu, qui n’a jamais détruit son stock. Aujourd’hui, Kieu a recommencé à vendre ses poules-pondeuses et assure que son exploitation est saine. La tâche est lourde pour les équipes sanitaires de la province, débordées l’hiver dernier par la vitesse à laquelle le virus s’est propagé, et conscientes aujourd’hui de ne parer qu’au plus pressé. La province n’a reçu du gouvernement que 7 milliards de dongs (environ 370 000 euros) pour indemniser les éleveurs touchés par la crise et relancer la filière.
Idéalement, « il faudrait nettoyer toutes les fermes régulièrement », explique Dang Duc Rieu, directeur des services vétérinaires. « Mais nous avons besoin de beaucoup de produits chimiques. Et nous n’avons pas d’argent pour les acheter ».
Faute de mieux, les autorités surveillent attentivement les fermes et poussent les paysans à vacciner leurs volailles contre les maladies infectieuses les plus courantes. Le chef du service de l’élevage, Vu Duy Hien, avoue que la peur de l’épidémie est omniprésente. « Il y a eu trois morts dans la province», rappelle-t-il. « Aujourd’hui, si on trouve un poulet mort dans une ferme, je crois que les gens seront plus vigilants ».