Lesaffre : de la levure à la nutrition-santé

L'hirondelle a désormais son plan de vol. Et Lesaffre sa nouvelle stratégie. Le premier producteur mondial de levure, l'une des entreprises les plus secrètes du Nord dont les services centraux sont implantés à Marcqen-Barœul près de Lille, affiche clairement la nutrition-santé comme voie de diversification et de croissance. Avec une vraie légitimité : sa parfaite connaissance de la levure et de sa biologie sur le marché de la panification, une vraie compétence industrielle, ainsi que sa proximité avec ses clients du monde entier.
Levures, bactéries, champignons, enzymes... : « Lesaffre maîtrise pleinement les sciences du vivant, ce qui lui donne une vraie légitimité pour entrer de plain-pied dans le secteur très prometteur des biotechnologies ». « Dans les cinq ans qui viennent, notre objectif est de faire passer la part de la nutrition-santé de 20 à 30 % de notre chiffre d'affaires », explique Antoine Baule, directeur général d'un groupe qui ambitionne désormais des perspectives de croissance annuelle de 5 à 7 %.
Ce diplômé de l'Essec, formé au secteur des ingrédients alimentaires et de la bio-industrie a com” mencé sa carrière chez Rhône-Poulenc. Puis il est entré chez Lesaffre en septembre 2003 pour piloter le redéploiement du groupe en Europe centrale, et prendre la responsabilité de la division Nutrition-Santé dès 2006.
De 20 à 30 % du chiffre d'affaires dans les cinq ans
Selon lui, la croissance du groupe se fera autant par croissance externe, dans le développement du secteur levurerie dans les pays émergents que dans les nouvelles voies des bio-industries.
Purification de moléculesEt pour bien affirmer l'orientation prise par ce groupe familial né en 1853, Antoine Baule annonce l'acquisition de deux pépites spécialisées dans les domaines de la bio-protection des plantes et de la purification de molécules. Il s'agit de l'achat du Français Agrauxine et de l'Italien Omniabios, deux start-up dont l'une travaille sur les méthodes de lutte alternative en remplacement des produits agrochimiques et l'autre dans le domaine du complément alimentaire, notamment la purification d'une molécule spécifique (la S-adénosyl-L-méthionine).
Mais Lesaffre s'est aussi investi dans les biocarburants de seconde génération en participant dès 2008 au Projet Futurol et en sélectionnant des levures capables de dégrader la cellulose des plantes. « C'est un projet en phase de maturation qui avance bien », lance Antoine Baule sans rien dévoiler de plus. L'acquisition en 2012 de la technologie Xylose isomerase (XI) auprès de la société suisse Butalco, lui a permis des avancées décisives pour son développement dans le marché des levures destinées à l'éthanol industriel.
« La levure comme les autres micro-organismes peuvent apporter des réponses douces aux besoins de protection des plantes », insiste Antoine Baule. Représentant 1,2 des 40 milliards d'euros (Mds€) du marché des produits phytos, le marché du « bio-contrôle » est encore très modeste. La moitié des 26 acteurs français font à ce jour moins de 2 millions d'euros (M€) de chiffre d'affaires. Mais ce sont des entreprises en plein développement qui attisent les regards des gros de l'agrochimie, à l'image de Monsanto (qui a acquis Novozymes, le no 1 mondial des enzymes alimentaires), Bayer (qui a acheté l'américain AgraQuest), Syngenta (avec Bioline) ou BASF (avec Becker Underwwod). Dans ce secteur qui affiche des croissances à deux chiffres, ce ne sont pas moins de 125 brevets qui auront été déposés en 2013.
Acquisition d'une levurerie turque« Le secteur de la levure offre néanmoins de fortes perspectives de croissance », explique Hervé Bolze, directeur marketing. Dans le monde, le marché de la panifi-cation représente environ 145 mil-lions de tonnes par an avec une moyenne de consommation par habitant de 20 kg par an. Mais avec de fortes disparités entre les continents, les pays et les produits. Selon lui, l'Afrique ou l'Asie ont des perspectives de croissance qui dépassent les 3 % par an.
Le groupe, qui vient d'inaugurer ses dernières levureries en Chine (Guangxi située dans le sud de la Chine) et en Russie (Voronej, située à 500 km au sud de Moscou) a encore des perspectives de développement. C'est ainsi que Lesaffre devrait signer prochainement l'acquisition de la levure-rie turque appartenant au groupe Yildiz Holding.
L'intérêt de Lesaffre pour le secteur de la nutrition-santé ne date pas d'aujourd'hui. « On a décidé de s'appuyer sur notre savoir-faire en boulangerie pour développer ces nouvelles activités depuis 1972 », rappelle Antoine Baule. C'est en effet l'année où le groupe se diversifie dans les compléments pour l'alimentation animale ainsi que dans les extraits de levure avec l'acquisition de Bio Springer.
Au sein du directoire du groupe(1), la diversification vers la nutrition-santé n'a pas forcément fait l'unanimité chez les administrateurs. Certains la jugeaient beaucoup trop prématurée. La vente de la division malt en 2006 provoqua de surcroît de profonds différends familiaux en ce qui concerne la future stratégie du groupe.
RéorganisationLe groupe familial connut ainsi des turbulences entre 2006 et 2012. Il fit appel à des administrateurs extérieurs chargés de ramener une certaine sérénité (parmi eux Christophe Bonduelle) et changea de forme juridique. Il connaîtra également un turn-over important de son équipe managériale. Jusqu'au moment où Lucien Lesaffre fut nommé président du conseil d'administration le 11 décembre 2011. Farouche partisan de la diversification du groupe vers la nutrition santé, Lucien Lesaffre impulsera la nouvelle stratégie de l'entreprise et réorganisera son équipe de direction durant l'année 2012. Le no 1 mondial de la levure est en ordre de marche. Ses objectifs sont clairs et le groupe peut regarder l'avenir avec confiance et un peu plus de sérénité.
Mais avec prudence, car Lesaffre a face à lui de gros concurrents : le britannique ABF (15,2 Mds€ de chiffre d'affaires en 2012), le canadien Lallemand ainsi que le chinois Angel Yeast, leader du marché de la levure en Chine avec 330,4 M€ de chiffre d'affaires.
(1) Depuis le 12 avril 2008, le groupe a adopté le statut de société anonyme, composé de onze administrateurs, abandonnant le statut de société à directoire et conseil de surveillance. Deux cents personnes, toutes apparentées au groupe familial, détiennent la totalité du capital de l'entreprise.

Lesaffre vient de racheter la société Omniabios en décembre 2013. Cette société italienne est spécialisée notamment dans la purification d'une molécule – la S-adéno-syl-L-méthionine, une substance naturellement produite par le corps humain possédant des effets sur la protection des cellules du foie, sur l'arthrose et les douleurs articulaires. L'entreprise de quinze salariés est basée à Bagnolo Mella à 70 kilomètres à l'est de Milan. « Elle peut être une plateforme d'expériences intéressantes pour le groupe », a souligné Antoine Baule.
Quant à Agrauxine, cette start-up, d'une vingtaine de salariés implantée sur le Technopôle d'Angers à Beaucouzé, a réalisé un chiffre d'affaires de 524 300 euros en 2012. Elle a décollé grâce à une innovation remarquée dans la viticulture (maladie du bois de la vigne) sur la base de travaux de l'Inra (Institut national de la recherche agronomique). Depuis sa création en 2002, elle se développe dans le domaine du bio-contrôle et de la bio-nutrition des plantes sous l'impulsion de son président-directeur général Antoine Coutant.