Les pouvoirs publics jouent-ils au pompier pyromane ?
Début novembre, les pouvoirs publics ne se sont pas privés de communiquer sur l’initiative procédurale du ministre de l’Économie à l’égard de neuf acteurs majeurs de la distribution, dont certaines grandes surfaces spécialisées.
Rédaction Réussir
À peine plus tôt, il était largement fait écho d’une condamnation du distributeur Leclerc à « restituer » plus de 20 millions d’euros à ses fournisseurs aux termes d’un arrêt de cour d’appel statuant sur renvoi après cassation.
Déjà à l’époque, c’était le ministre de l’Économie qui avait pris l’initiative de la procédure devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Il s’agissait alors de remettre en cause une transaction dans laquelle le ministre voyait une fausse coopération commerciale, c’est-à-dire dépourvue de contrepartie.
Or ladite transaction était intervenue très postérieurement à la négociation avec les mêmes fournisseurs, le distributeur s’étant aperçu que certains de ses concurrents avaient pu obtenir des mêmes fournisseurs des avantages plus importants. La transaction intervenait donc dans un cadre purement contractuel entre professionnels, ce qui n’a pas empêché le ministre de saisir la justice.
L’assignation récente de neuf distributeurs procède de la même analyse. Le ministre de l’Économie n’hésite plus à intervenir directement devant les tribunaux de commerce dans la sphère purement privée des contrats.
La question du fondement de telles actions reste entière, d’autant que par certains côtés, elle est indissociable du contexte législatif dans lequel elle intervient. Sans qu’il puisse être question, à travers ces lignes, de prendre parti pour qui que ce soit, force est de rappeler que depuis 1986, les relations entre industrie et commerce ont subi de nombreux aménagements, dont certains très rapprochés, pour aboutir en définitive à un principe de libre négociabilité.
Mais depuis bien plus longtemps encore, les textes généraux du code civil encadrant le droit des contrats s’appliquent à ces négociations. Ainsi, le code civil affirme que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » (article 1134), ou encore que « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes. Elles ne nuisent point aux tiers et ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121 » (c’est-à-dire la stipulation pour autrui).
Autant dire que l’on ne voit pas comment, sur le fondement cumulatif de ces textes, le ministre aurait pu demander l’annulation d’une transaction à laquelle il n’a pas été partie et le remboursement des sommes versées.
Précision juridique ou opération de communication ?
C’est donc pour contourner le caractère implacable de ces textes qu’avait été introduit, dans l’ordonnance de 1986, un article 36 (aujourd’hui L.442-6-III du code du commerce), habilitant le ministre à saisir la juridiction civile ou commerciale pour dénoncer certaines pratiques stigmatisées dans le même texte.
Outre le fait que la conformité d’une telle intervention du ministre dans la sphère privée des contrats reste controversée au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, le contexte dans lequel intervient l’assignation récente de neuf distributeurs, dont certains se voient reprocher un « déséquilibre significatif » au détriment des fournisseurs, dans un contexte réaffirmé de libre négociabilité, amène inévitablement le juriste à s’interroger : les pouvoirs publics ont-ils voulu, à travers cette initiative de grande envergure, amener le juge à dire une fois pour toutes ce qu’est une contrepartie réelle au sens de la réglementation relative à la coopération commerciale, ou ne s’agissait-il que d’une opération de communication dans un contexte de grande tension (ce qui est un problème sur lequel nous reviendrons prochainement) ?
Autrement dit, les pouvoirs publics jouent-ils au pompier pyromane ?