« Les marques alimentaires ont du souci à se faire »
« Dans notre société hypermoderne, le marché du produit cède la place à celui de la solution, et la relation de service se généralise, a expliqué Philippe Moati, directeur de recherche au Credoc, lors de la dernière AG de l'ARIA Midi-Pyrénées (lire ci-contre). Pour progresser, la grande distribution, doit évoluer dans ce sens. Nous ne sommes plus dans une société de masse, où les comportements étaient prédictibles dans chaque classe sociale, mais dans une société de personnes, où chacun appartient à plusieurs groupes sociaux et consomme différemment selon les moments de la journée ou de la semaine. La société s'est beaucoup complexifiée». La grande distribution ayant été conçue pour vendre des produits et non des services, son évolution va forcément passer par de grandes mutations.
Deux grands modèles de développement s'offrent à elle : le modèle « néo-fordien », pas vraiment en rupture avec le passé, qui systématise le discount (prix bas, gestion des flux, rotation rapide des capitaux, rationalisation de chaque maillon de la chaîne…) et le modèle « post-fordien », qui s'attache à créer de la valeur ajoutée commerciale. C'est sur ce dernier que parie Philippe Moati. « La distribution, interface active entre l'offre et la demande, est à même de créer de la valeur ajoutée, car c'est elle qui connaît la clientèle, poursuit-il. Elle doit mettre le bon produit en face du bon client, crédibiliser son expertise des besoins des consommateurs et sa connaissance des produits. Elle peut aussi donner un « supplément de sens » au produit par le marketing d'enseigne, un assortiment original ou un aménagement créatif des magasins. L'exemple du Marché de Casino, à L'Union (31), est en ce sens intéressant. »
Des temps difficiles pour la production
Partant du principe que c'est la grande distribution qui possède la connaissance des marchés et qui gère la relation clientèle, on aboutit forcément à une remise en cause du partage des rôles entre la production et la distribution. « La question va alors se poser de savoir qui va piloter la production, reprend Philippe Moati. Partant de l'attente du consommateur, le distributeur va devenir concepteur de produits et marketeur, et il s'entourera d'un réseau de producteurs intégrés pour fabriquer ce dont il a besoin. Il y a alors un risque que le sort des IAA se dégrade. »
Quelles perspectives s'offrent alors aux entreprises ? Devenir intégrateur à leur tour comme Nestlé qui a ouvert les boutiques Nespresso, ou encore Comtesse du Barry ou Valette, qui possèdent leurs propres réseaux de magasins. Les IAA peuvent aussi choisir de se replier sur leur fonction productive au service des distributeurs intégrateurs. Une position « très risquée », car il est facile de se faire griller la place par un opérateur fabriquant moins cher. Mieux vaut alors essayer de devenir un partenaire des distributeurs, recherché pour ses compétences technologiques et sa capacité à soutenir l'effort de différenciation de l'intégrateur. On peut cibler des clientèles particulières, comme les personnes âgées, ou s'associer à d'autres PME pour créer une marque collective. « Une entreprise apportant une vraie valeur ajoutée au distributeur ou lui réservant son produit en exclusivité peut s'en sortir, précise Philippe Moati. Elle peut aussi essayer de trouver sa place avec sa marque propre dans les rayons, mais avec le temps, cette place va se refermer. D'ici quelques années, il faudra s'appeler Coca Cola pour garder un espace en rayon.»