Les bovins reproducteurs ont un billet pour la Russie
La nouvelle a du mal à tirer Villefranche-de-Rouergue de sa torpeur. Depuis trois ans, aucun bovin n'a quitté l'Aveyron pour la Sibérie. Quand il apprend la réouverture du marché russe, Eugène Alexandre réagit mollement. Sa coopérative Massif Central Elevage est pourtant l'une des premières concernées. « Il y a très peu de bestiaux disponibles», déclare-t-il avec nostalgie, en évoquant l'époque bénie où partaient des trains complets pour Belgorod. « Leur prix est très élevé. Si Bruxelles ne rétablit pas les restitutions à l'export, je vois mal comment ça pourrait passer».
D'autres opérateurs semblent pourtant intéressés. KBS Genetic, Fenvia, EuroFrance, des professionnels du mouton, des Upra, se sont rendus la semaine dernière à l'Institut de l'Elevage pour y rencontrer l'attaché agricole à Moscou Maurice Rossin. « La société financière russe Rosagro leasing possède les fonds pour acheter des reproducteurs», rapporte Nils Beaumond, chargé des relations internationales à Interbev.
Restait à lever l'embargo pour cause d'ESB, instauré en 2004 par Moscou. C'est chose faite, suite à une rencontre entre les autorités françaises et russes lors de la Semaine verte à Berlin. Dans un communiqué daté de vendredi, Bussereau annonce la « reprise progressive» des exportations de bovins reproducteurs français vers la Fédération de Russie, à partir du 1er février. Une trentaine de départements laitiers restent écartés, mais «l es exigences sanitaires russes seront révisées dès la mi 2006», précise le communiqué. « Cette avancée permettra à la France de participer activement au grand programme de reconstitution des cheptels bovins russes, arrêté par le ministère de l'Agriculture de la Fédération de Russie. Celui-ci vise à acquérir à l'étranger des reproducteurs de haut niveau génétique, à hauteur de 50 000 bovins par an».
Une bonne acclimatation
L'accord met fin à une injustice, puisque d'autres pays européens bénéficiaient déjà de la même mesure. « Les Danois, les Hollandais et même les Hongrois ont expédié de petites quantités l'an dernier, signale le consultant René Laporte. Il s'agit surtout d'animaux laitiers. C'est le commerce qui reprendra le plus rapidement. L'élevage laitier est mieux connu, avec une définition internationale de ce qu'est une génisse, à savoir un animal de type holstein. En races à viande, les caractéristiques sont davantage locales».
La France peut tirer profit de la réussite de ses précédentes livraisons. Entre 1998 et 2003, quelque 3 000 bovins aubracs, salers, limousins et charolais ont été expédiés vers la Russie. « Les descendants se portent à merveille. C'est ce qu'a récemment constaté sur place l'attaché agricole français. Il en est revenu admiratif», raconte Sam Kouba, de la Société Bernard.
L'ancien collaborateur du «milliardaire rouge» Jean-Baptiste Doumeng constate une « décapitalisation de plus en plus catastrophique» du cheptel russe. A l'époque de l'URSS, il y avait selon lui 58 millions de bovins. Leur nombre est aujourd'hui à peine plus élevé qu'en France, à 22 millions de têtes. La dépendance vis-à-vis de l'étranger s'est accrue, avec des importations qui atteignent désormais plus de 40 % de la consommation de viande, toutes espèces confondues.
« Les objectifs de Rosagro sont de 50 000 bovins par an pour 2006 et 2007, poursuit-il. De plus, la banque propose aux éleveurs de bénéficier d'un crédit à taux 0 sur cinq à huit ans. Mais, vu les disponibilités en bétail dans l'UE, ce serait déjà beau d'atteindre la moitié des volumes».