Le consommateur français, salut des éleveurs ?

Le 18 juillet dernier, en pleine étape du Tour de France, François Hollande appelait « les consommateurs à faire aussi un effort » face à la gravité de la crise de l'élevage et « à manger autant que possible les produits de l'élevage français ». Ce message a-t-il été entendu ? Les reportages diffusés tout l'été dans les grands médias, relayant la colère et la détresse d'éleveurs face à des prix trop bas, ont-ils changé le comportement des Français, enclins dans les sondages à déclarer leur soutien à la mobilisation agricole ?
Sur la période 8 (P8, quatre semaines se terminant le 9 août), les ventes en frais de bœuf à griller en grandes et moyennes sur-faces ont crû en volume de 4,9 % par rapport à la même période l'an passé, selon Panel Kantar Worldpanel. « C'est signifiant », commente Denis Lerouge, directeur de communication et des études de l'Interprofession bétail et viandes (Interbev) qui est toutefois loin d'y voir l'effet de l'injonction du président de la République ! « On a eu un temps meilleur (que l'an dernier, où la météo avait été particulièrement mauvaise, ndlr). L'effet météo est évident », poursuit-il. « On a eu cet été un impact météo très fort », confirme Laurence Des-chemin, directrice d'unité chez Kantar. Les ventes de brochettes et plateaux à grillades ont respectivement augmenté de 19,5 % et de 17,6 % en volume sur la même période. En revanche, « on ne mange plus de côte de bœuf en été », déplore un opérateur de l'abattage-découpe.
La dynamique n'est pas brillante
Un porte-parole du groupe Auchan nous signale par mail que pour les ventes de viande cet été « les tendances en volume sont plutôt en baisse » et de souligner qu'il est « difficile de dire si la situation agricole a joué en faveur (médiatisation des difficultés des agriculteurs) ou en défaveur (légères hausses de prix) de la consommation ». Excepté l'épiphénomène estival, « la dynamique n'est pas brillante », rappelle Denis Lerouge. « La consommation a tendance à baisser ces dernières années. À P8 en cumul annuel sur le bœuf frais, on est à - 2,8 % en volume. Si on prend en compte le bœuf élaboré, on arrive à - 1,4 % en volume», souligne-t-il. Et de pointer le fait que le dynamisme du segment steak haché (+6 % en cumul annuel mobile à P8, selon Kantar Worldpanel) ne compense pas la baisse de la viande brute. En porc frais, la tendance de consommation est également en recul avec un repli des volumes de 2,9 %.
Le discours ambiant alimente la baisse
« Nous sommes toujours dans un contexte de déconsommation des produits carnés bruts. Période à période quelle que soit la cible, la baisse des achats est continue », insiste Laurence Deschemin. Et « le prix n'est pas le seul responsable. Les gens ont des attentes différentes », pointe-t-elle. Le discours ambiant sur la viande n'aide pas à la consommation, selon l'experte. « Dernier exemple en date, La Ruche qui dit oui ! qui a lancé sur son site le slogan “ se passer de la viande une fois par semaine, on tente ! ”. Alors qu'ils travaillent avec les producteurs. Le discours alimente ce contexte baissier. »
Même son de cloche chez le panéliste Iri, qui s'intéresse aux sorties de caisse des viandes gencodées. « Dans le discours des nutritionnistes, la viande n'a pas la cote. Le seul axe de récupération, c'est l'achat plaisir, occasionnel », analyse Jacques Dupré, directeur Insights et communication. Les produits gencodés, souvent plus marketés et plus élaborés, se portent d'ailleurs plutôt bien. « Sur la liste de produits la plus étendue*, on constate depuis 2009 une croissance annuelle moyenne à 2,4 % en volume et 1,7 % en prix d'achat, soit un chiffre d'affaires en progression de 4 % par an », indique-t-il.
La boucherie se porte bien
Du côté des bouchers, le discours se veut également plutôt optimiste. Pas de chiffres officiels sur l'évolution des ventes chez les artisans, mais « la boucherie artisanale se porte bien », affirme Christian Le Lann, président de la Confédération française de la boucherie charcuterie traiteur (CFBCT), qui pointe toutefois la concurrence exacerbée des grandes et moyennes surfaces depuis la Loi de modernisation de l'économie. Signe de dynamisme, « actuellement, on a beaucoup de jeunes en formation. L'an dernier, on a eu 15 % d'apprentis en plus. Les jeunes reprennent des affaires en Province », détaille-t-il. Et de poursuivre, « à chaque
L'an dernier, on a eu 15 % d'apprentis en plus
fois qu'il y a une crise, on a de nouveaux clients. Le tout est de les garder ». À sa grande fierté, son organisation a récemment reçu une lettre de félicitation de Fil rouge et Sylaporc (représentant les viandes de qualité) pour avoir choisi de commercialiser leurs produits. « Dans ma boucherie, on propose de l'agneau de pré salé, du veau sous la mère et depuis un an du porc noir de Bigorre, et c'est un vrai succès », témoigne-t-il. « Mais dans cette histoire, on représente 25 à 30 % de parts de marché, on ne peut pas distribuer l'ensemble de la production de qualité. Il faudrait que les autres le fassent. Il faut arrêter les promotions sur la viande », lance-t-il.
* Comprenant plats cuisinés, viandes surgelées, viandes élaborées, jambons crus, rillettes, foies gras, saucisses, aides culinaires…
« On s'est moqués du logo Viandes de France. Alors que la situation est grave, nous faisons le pari que tout le monde va désormais jouer le jeu, en particulier les distributeurs, mais aussi, et surtout les consommateurs », lâchait Jean-Pierre Fleury, président de la Fédération nationale bovine le 25 août lors du lancement de la nouvelle campagne à la gare Montparnasse à Paris. 8 100 points de vente participent à l'opération. « Les GMS jouent bien le jeu, selon les impressions du terrain. On va planifier une tournée d'enseignes en septembre pour vérifier. Pour voir comment ils la mettent en place », commente Denis Le-rouge, directeur de communication et des études d'Interbev. « On en attend un effet. Mais le consommateur est multicritère », poursuit-il.