L’appellation est-elle soluble dans la marque ?
Les territoires des marques et des appellations ne sont pas toujours très clairs, les unes et les autres étant régulièrement tentées d’empiéter chez le voisin… alors même que les deux cohabitent parfois. Un beau sujet de réflexion pour le « Wine and business club ».
Marque ou AOC ? Le débat est vieux comme l’appellation, créée pour défendre les intérêts des producteurs, et souvent opposée à la marque, née de l’entreprise industrielle. Le 25 mars dernier, le très sélect Wine and business club revenait sur ce thème cher au regretté Jean Pinchon, ancien président –notamment – de l’Inao (Institut national de l'origine et de la qualité). Il avait coutume de dire de l’AOC qu’elle incarnait « la typicité ». « À l’intérieur de l’appellation, il est légitime qu’il y ait des marques, qui permettent au consommateur de choisir et aux entreprises de segmenter le marché. Les marques sont donc complémentaires des AOC. » Quelques décennies plus tard, les intervenants présents à la tribune du Wine and business club ont abouti à la même conclusion.
Jérôme Durand, directeur marketing du Bureau national interprofessionnel du Cognac, a tout de suite planté le décor : « Il y a les marques sans AOC, les marques avec AOC et les AOC sans marques. Les marques peuvent faire le renom de certaines AOC, en donnant de la chair à un concept qui laisse froids certains consommateurs. Les deux sont complémentaires lorsque l’appellation et la marque se valorisent mutuellement. Marennes Oléron est à mi-chemin entre les deux : à la fois une marque collective et une IGP sans marque, et se porte très bien. Mais attention à ce que la marque ne cannibalise pas l’AOC comme c’est le cas avec « Société » dans le roquefort ». Alain Fretellière, directeur de la marque Reflets de France, marque ombrelle de Carrefour pour les produits « de terroir », en convient : « Reflets de France est une marque de distributeur qui a acquis peu à peu une réputation de sérieux et de qualité. La plupart de nos produits (il en existe 300, provenant de 140 fournisseurs pour un chiffre d’affaires de 320 millions d’euros) portent des labels ou AOP et IGP. Notre philosophie s’accorde donc parfaitement avec celle des signes d’origine ».
« Les AOC doivent se réformer »
Alain Bazot, président de l’UFC-que Choisir, est moins tendre avec la réassurance supposée des appellations. « Heureusement que les marques sont là. Ce sont en elles que les consommateurs ont confiance. Le vin AOC, notamment, recouvre des réalités complexes et parfois incompréhensibles par le commun des mortels. Lors d’une enquête récente, 65 % des professionnels issus des AOC estimaient que l’AOC n’est pas une garantie de terroir et de typicité ; mieux, ou pire, 67 % d’entre eux considèraient l’AOC trop laxiste. Si les AOC ne se réforment pas au niveau qualitatif, elles vont offrir un boulevard aux marques. »
Bernard Magrez n’est pas de cet avis. Le créateur de la marque Malesan s’interroge même sur l’avenir des marques en Bordelais. « Les vins de marque sont très exposés à la concurrence mondiale. J’ai choisi de revendre ma marque pour revenir à la typicité, sous l’égide de 35 vignobles différents en France et ailleurs. Ils sont tous marqués par leur terroir. Avec un fleuron, Château Pape Clément. » Comme quoi tout est possible quand on fait le choix de la qualité.