L'accord UE-Mercosur repoussé aux calendes sud-américaines
> Raúl Arlotti, professeur de l'Université de Buenos Aires, spécialiste du Mercosur.
Les négociations en vue d'un accord de libre-échange entre le Mercosur et l'Union européenne, nous en parlions déjà quand nous étions jeunes », lâche Javier Martínez del Valle, le directeur de l'association argentine des éleveurs d'angus et fin connaisseur du commerce mondial du bœuf. « Ces conversations diplomatiques n'ont servi qu'à engraisser des fonctionnaires et à les faire voyager ! », s'emporte-t-il, résumant l'amerture des producteurs d'aliments sud-américains, pour qui les consommateurs européens ont tout intérêt à avoir plus librement accès à leurs aliments, ceux-ci étant moins chers à produire qu'en Europe.
Les négociations patinent, car certains pays européens refusent toujours d'ouvrir aux Sud-Américains leur marché alimentaire et, d'autre part, le manque de cohésion du Mercosur rend celle-ci prioritaire et préalable à toute intégra-” tion extrarégionale. Les gouvernements du Brésil et de l'Argentine se disputent encore à propos des flux de voitures et d'électroménagers transitant par leur frontière. Le Paraguay a été exclu de cette union douanière bien imparfaite en 2012, les autres États membres condamnant ainsi le coup d'État silencieux qui a renversé l'ex-président Fernando Lugo. À l'inverse, le Venezuela a intégré le Mercosur sans véritable raison de fond. L'élection de députés sud-américains devant créer un parlement international est retardée dans chaque pays, etc.
“ Le Brésil a un marché de 200 millions de personnes à offrir à l'Union européenne
La signature d'un accord de libre-échange Union européenne-Mercosur ne semble pas pour cette décennie. Le professeur de l'Université de Buenos Aires (UBA), Fernando Lavignole, spécialiste du Mercosur, constate que « les enjeux électoraux internes prévalent en Argentine sur toute stratégie d'intégration extrarégionale bénéfique à long terme. La protection de l'emploi empêche une plus grande ouverture de nos frontières aux entreprises de biens et de services européennes ». Posture renforcée après les années 1990 qui furent marquées par l'ultralibéralisme, la privatisation des entreprises publiques et la corruption, aboutissant en 2002 à l'explosion du chômage et à la faillite de l'État couplée d'une dévaluation brutale du peso argentin.
« Le Brésil a un marché de 200 millions de personnes à offrir à l'Union européenne et notre atout commun est notre secteur agroindustriel », ajoute un autre professeur de l'UBA, Raúl Arlotti, lui aussi expert du Mercosur. Il décèle des obstacles politiques expliquant l'impasse d'un accord de libre-échange avec l'Union européenne. « Cela signifierait, pour l'Argentine, reconnaître la souveraineté du Royaume-Uni sur les îles Malouines, ceci à cause du traité de Lisbonne. Et puis l'expropriation du pétrolier YPF au détriment du groupe espagnol Repsol, survenue en 2012, fait aussi barrage », assure-t-il.
Lors d'une vidéoconférence réalisée le 27 novembre dernier, les représentants du Mercosur et de l'Union européenne ont évalué l'avancée des négociations. La Commission européenne a informé qu'elle achèverait « dans de brefs délais » ses consultations auprès des États européens pour harmoniser son offre, tandis que les Sud-Américains ont renouvelé leur proposition qui inclurait 90 % des nomenclatures douanières.