La société de la peur
Etait-ce bien la peine de fonder une nation sur le culte de la déesse Raison pour se retrouver régi deux cents ans plus tard par la dictature de la peur ? C'est ce genre de réflexion qui nous saisit à constater la persistance, voire l'amplification, des doutes distillés sur la sécurité de l'alimentation et de l'environnement. Encore les crises du début des années 2000 - comme l'ESB - pouvaient elles justifier, plus à tort qu'à raison, un tel climat anxiogène. Mais il ne semble même plus nécessaire qu'un danger immédiat se profile pour que l'on suscite dans l'opinion des réactions de méfiance ou de rejet à l'égard des pratiques supposées malveillantes - et osons le mot, criminelles, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit - dont les agriculteurs ou les industriels seraient les complices. En une semaine, on a ainsi fait frémir les foules avec l'usage immodéré des pesticides dans la culture des fruits et légumes, brandi la menace de lots douteux de corned-beef que les services sanitaires n'ont pourtant pas jugé impropres à la santé et, clou du spectacle sur Arte, mis la panique dans les foyers en pronostiquant la fin de l'espèce humaine par la présence de produits chimiques dans les bouteilles en plastique. Alors qu'une crise économique féroce commence déjà à provoquer des ravages sociaux et humains, comment expliquer une telle surenchère sur des sujets que des procédures techniques banales devraient suffire à régler ? Sans doute parce que dans un monde instable et surmédiatisé, il est plus profitable de dénoncer avec fracas que de prévoir et d'agir en silence. La peur est, dit-on, mauvaise conseillère. C'est pourtant devenu un mode de gouvernement.