La Norvège veut réhabiliter l'image de son saumon

Les 22 et 23 juin, Norge, le Centre des produits de la mer de Norvège (CPMN), organisait un voyage de presse au plus près du cycle de vie des saumons d'élevage du pays. Une opération se voulant en totale transparence de la part de cet organisme de promotion et de lobby financé par les industriels de l'aquaculture et de la pêche. Et ce plusieurs mois après qu'un reportage à charge dans l'émission de France 2 Envoyé Spécial ait présenté le saumon d'élevage norvégien comme « la nourriture la plus toxique au monde » (en novembre 2013).
Le CPMN lance le site « tout sur le saumon » (http: //www.poissons-de-norvege.fr/) en France, et enchaîne les voyages de presse. « On a toujours invité des journalistes », tempère Maria Grimstad de Perlinghi, la directrice France de l'organisme. On ne peut toutefois nier que la Norvège prend de plus en plus de mesures pour redorer le blason d'une industrie qui la fait vivre. Une opération qui repose sur des efforts concrets pour améliorer les pratiques de l'aquaculture.
” Les enjeux sont d'importance pour le pays. L'aquaculture représente la troisième source de revenus de la Norvège, après le pétrole et le gaz, et assure près de 50 000 emplois. Le pays produit 1,2 million de tonnes de saumons par an. L'exportation de saumon représente à elle seule 3,8 milliards d'euros. En l'espace d'une trentaine d'années, la Norvège a participé à l'explosion de ce marché lucratif.
“ PCB et dioxines dans le saumon : en dix ans, ils ont reculé d'un tiers
Dans les années 1970, l'aquaculture connaît ses débuts dans le pays, pour prendre un tournant industriel dix ans plus tard. La Norvège compte aujourd'hui 1 000 fermes d'élevage de saumons. Un nombre que le gouvernement limite en distribuant des licences au compte-gouttes. Trois ans sont nécessaires pour élever un saumon dans une ferme, alors que sa durée de vie moyenne en mer est comprise entre 4 et 6 ans. Les saumons naissent sur la côte, dans une écloserie, en eau douce. Au bout d'un an, ils sont déplacés dans une ferme d'élevage en pleine mer. Les cages y mesurent entre 120 et 160 mètres de circonférence, font entre 20 et 50 mètres de profondeur et peuvent contenir de 40 000 à 200 000 saumons. Le gouverne-ment impose un rapport de 2,5 % de saumon pour 97 % d'eau.
Qualité du saumon et impact écologiqueMais en haute mer, les cages sont perméables à l'écosystème qui les entoure. Dans le reportage d'Envoyé Spécial, des chercheurs exposaient le cocktail de PCB et de dioxines que le saumon, poisson gras, stocke, et plus encore s'il est nourri avec des farines de petits poissons pêchés dans la Baltique, polluée. « Le problème, ce n'est pas nos poissons, c'est la mer », se défend Maria Grimstad de Perlinghi. La Norvège met d'ailleurs en avant ses progrès sur ces résidus industriels. « En dix ans, ils ont reculé d'un tiers », constate Ingvild Eide Graff, directrice de recherche à l'Institut national de recherche sur la nutrition et les produits de la mer (Nifes). Cette évolution est liée à celle de la nourriture des saumons, qui contient aujourd'hui d'avantage d'huile végétale (60 %) au détriment des farines animales (40 %).
En France, la question inquiète. La Norvège exporte 15 % de sa production vers l'Hexagone. C'est aussi notre premier fournisseur de saumons d'élevage, avec 85 % des parts de marché. À l'été 2014, l'association française 60 millions de consommateurs teste huit filets de saumon d'élevage, dont dix norvégiens. Les PCB sont présents dans tous les saumons testés mais en « faibles teneurs ». En France, sur les cinq dernières années, la Direction générale de l'alimentation (DGAL) a détecté seulement deux saumons « non conformes pour ces polluants ». En 2014, tous les saumons norvégiens testés respectaient les normes européennes. De fait, tous les ans le Nifes produit un rapport sur les substances illégales et indésirables dans le saumon d'élevage et cela fait douze ans que les résultats ont toujours été conformes ou inférieurs aux normes européennes. « Les niveaux de contaminants dans le saumon d'élevage sont bien en dessous des normes fixées par les autorités sanitaires », assure-t-on ainsi chez Norge. En Norvège, la qualité du saumon est jugée globalement rassurante.
Le débat se focalise cependant sur l'impact écologique des élevages. Les détracteurs de l'aquaculture décrivent des fonds marins dans les fjords détruits par l'accumulation des excréments de poisson et les produits de traitement. La régulation norvégienne impose toutefois une jachère de trois mois après chaque cycle d'élevage (environ trois ans), afin de laisser le fond marin se régénérer.
De même, « on ne peut pas implanter nos fermes n'importe où en haute mer, tout cela est très régulé », explique Simon Nesse Økland, directeur des opérations de la société Bremnes Seashore. L'Institut norvégien de la recherche marine effectue également depuis 2011 une enquête annuelle plus connue sous le nom de MOM-B afin d'évaluer l'état des fonds marins attachés à chaque exploitation. Si les résultats sont mauvais, l'entreprise est obligée de fermer. De 2011 à 2014, 93 % des stations ont été jugées en bonne ou en très bonne condition, souligne avec fierté le docteur Geir Lasse Taranger.
« C'est dans l'intérêt des industriels de protéger leurs ressources et de développer la recherche pour s'améliorer », résume Simon Nesse Økland. Des industriels qui opèrent toutefois en relation étroite avec le gouvernement. Si ce dernier est très impliqué dans le financement de la recherche, c'est peut-être aussi en raison des intérêts économiques en jeu.
“ Un objectif de 5 millions de tonnes de saumons produites chaque année d'ici à 2050
Hans Inge Algrøy, directeur régional aquaculture de la Fédération norvégienne des produits de la mer, annonce ainsi un objectif de 5 millions de tonnes de sau-” mons produites chaque année d'ici à 2050, soit le triple de la production actuelle. « Bien sûr il y a des conditions. Il ne faut surtout pas produire à tout prix », rassure-t-il cependant. Affaire à suivre, donc.

Les poux de mer peuvent affecter les saumons sauvages non vaccinés et entraîner leur mort. Si la vaccination des saumons d'élevage, ainsi que l'utilisation de petits poissons « nettoyeurs » a permis une baisse drastique de l'utilisation des antibiotiques, les industriels n'arrivent pas encore à se passer de traitements chimiques. Industriels et gouvernement investissent cependant d'importantes sommes d'argent pour développer le secteur recherche et développement et régler la question. Bremnes Seashore, notamment, travaille depuis cinq ans sur le problème et a développé plusieurs procédés inédits qui sont encore à l'étude : faire passer le saumon dans une eau à 40 degrés pour tuer les puces, par exemple. Mais surtout l'entreprise a déjà investi 10 millions d'euros dans de nouveaux bassins fermés qui reproduisent les conditions de la vie en mer pour les saumons. D'autres entreprises, ainsi que des chercheurs travaillent à des méthodes à l'aide de bâche isolante (ou jupe) ou de laser. Par ailleurs, les fuites de saumons d'élevage hors des fermes, à cause de tempêtes ou de l'usure des filets, inquiètent aussi parce qu'ils se reproduisent avec les saumons sauvages.