La filière du veau à l’épreuve du découplage des aides agricoles

«La filière du veau de boucherie passe à la trappe. » Telle est la réaction des industriels de la FNICGV, suite à l'annonce récente d'un découplage de la prime à l'abattage en 2010. Ce choix du ministre de l'Agriculture Michel Barnier, dans le cadre du bilan de santé de la Pac, constituerait pour les « concurrents hollandais, belges et italiens (...) un formidable tremplin pour assaillir le marché français», selon la fédération. Le message se veut plus rassurant en amont de la filière. « Les éleveurs continueront à produire, soutient le président de la section veaux à la FNB, Fabrice Heudier. Ils doivent amortir de gros investissements de mise aux normes des bâtiments. Et en ce moment, la rentabilité du veau est correcte. »
Voilà qui illustre, une fois de plus, les divergences entre producteurs et intégrateurs de veau. Comment y voir clair sur l'impact de la nouvelle Pac ? « Le découplage permet aux éleveurs de s'accaparer la prime à l'abattage. Elle est à eux, même s'ils arrêtent de faire du veau. Les industriels ont peur que cela contribue au déclin de la production », résume Jean-Claude Guesdon, chef du département économie à l'Institut de l'élevage. Une chose est sûre, la filière n'est pas au mieux, après deux ans et demi de crise.
Cercle vicieux
L'augmentation des coûts de production, dès fin 2006, a fortement affecté les marges des ateliers d'engraissement. Elle a poussé les intégrateurs à freiner les mises en place, jusqu'à fin 2007. Le retour à une plus grande modération des cours de la poudre de lait écrémé et du lactosérum, au début de l'année dernière, alors que les prix des veaux de boucherie étaient au plus haut, a redonné un peu de dynamisme à la filière et les mises en place ont été plus nombreuses sur le premier semestre 2008. Par la suite, le net recul de la consommation ayant ralenti les sorties et entamé la confiance des intégrateurs, les ateliers ne se sont remplis qu'au compte-goutte. « Le veau est pris dans un cercle vicieux de sous-développement, considère l'économiste. Face à une baisse de la production, les distributeurs augmentent leur marge unitaire, alimentant la baisse de consommation. »
Les industriels redoutent un scénario identique à celui de l'agneau, grand perdant de la précédente réforme de la Pac et dont la production a chuté. D'autant plus que la concurrence hollandaise est là en embuscade (voir l'encadré). « Toute la place libérée ces dernières années sur les marchés français, italien ou allemand a été occupée par le veau hollandais, observe Mélanie Richard, de l'Institut de l'élevage. Particulièrement en Italie, où le découplage des aides en 2005 a été suivi d'un recul de la production. » Si les expéditions néerlandaises vers la France plafonnent en viande autour de 40 000 tonnes, elles grimpent en vif à 13 500 veaux contre un millier de têtes habituellement. « Les éleveurs en Hollande sont spécialisés, contrairement aux Français, explique-t-elle. Ils sont capables d'ajuster les rations selon la conjoncture, en réduisant la part de poudre de lait et de lactosérum quand leur prix flambe. »
Le contrat d'intégration remis en cause
Le découplage de la prime à l'abattage est un moyen pour les producteurs de reprendre la main, face à des partenaires industriels tout-puissants et sur un marché où les Néerlandais règnent, y compris en France. Sobeval, filiale du hollandais VanDrie, a récemment récupéré, en Basse-Normandie, Pays de la Loire et dans le Sud-Ouest, des éleveurs liés à Tendriade, lequel opère un recentrage autour de son usine de Châteaubourg (Ille-et-Vilaine). « Les intégrateurs profitent d'un parc de bâtiments qu'ils ont surdimensionné lors des mises aux normes, juge Fabrice Heudier. Nous ne pouvons plus tolérer que des producteurs soient poussés à investir, puis abandonnés. »
Des discussions restent à engager sur le contrat d'intégration qui encadre le partenariat entre éleveurs et intégrateurs. Sa version actuelle date des années 80. « A chaque crise, le producteur sert de variable d'ajustement. Tout doit être remis à plat », estime le syndicaliste, qui préside également l'interprofession du veau. Les conditions actuelles du marché, avec un équilibre entre offre et demande, peuvent aider à calmer les esprits. Mais un paramètre reste mal orienté, celui de la consommation. « Certaines enseignes commencent à comprendre qu'en diminuant un peu leurs marges, elles peuvent se rattraper sur les volumes », observe-t-il. A bon entendeur...