« La crise redéfinit les relations amont/aval »

Les Marchés : La concentration des moyens dans le secteur de la transformation agroalimentaire française s'est nettement accélérée depuis un an, notamment à l'instigation du secteur coopératif, via des rapprochements entre coops par filières ou par activités On pense aux secteurs du porc et de la volaille dans l’ouest de la France avec l’émergence de poids lourds comme Terrena/Unicopa/Pigalys et Cooperl/Arca en porc et Gastronome/Unicopa et Union 7/Agrial en volaille ou encore aux rapprochements en cours en bovin dans l’Est de la France entre coopératives céréalières et de viande. ou par l'acquisition d'outils industriels par des coopératives. Quel bilan tirez-vous de restructurations que vous avez régulièrement appelées de vos vœux ?
Philippe Mangin : Un bilan positif bien sûr. Cela va contribuer à l'émergence de groupes forts, en production comme par leurs marques, capables de peser plus fort face à la grande distribution.
LM : Les rapprochements entre métiers différents, entre les céréales et la viande notamment, augurent-ils d'évolutions positives pour un secteur fragilisé comme la production bovine ?
P.M : Je le pense. Je le constate dans l'Est de la France, où je prends ma part de cette restructuration, avec le rapprochement entre ma coopérative céréalière EMC2 et la coopérative d'élevage Aliotis. On se demande parfois pourquoi on ne s'est pas rapprochés plus tôt ! C'est un moyen pour les uns comme pour les autres de développer des moyens, et pour nous d'apprendre aux acteurs de l'élevage une certaine rigueur budgétaire. A EMC2, chacun vient avec son business-plan, et il est jugé sur cette base. J'ai l'impression que nous sommes en train de changer le logiciel de certains dans le monde de l'élevage. Les éleveurs locaux participent, depuis la fusion, à des débats stratégiques qu'ils n'avaient plus les moyens d'avoir. Dans ce type de fusions, les acteurs du monde de l'élevage et de la viande disposent d'une assise financière plus importante.
LM : Est-ce vraiment une révolution ?
P.M : Cela s’y apparente en tous cas. La culture « multi-métiers » est une évolution inéluctable pour beaucoup d’entreprises coopératives, ne serait-ce que par le fait que l’élevage est un débouché naturel pour les céréales, maïs ou blé. On a acquis cette culture dans l’Ouest de la France, avec la constitution de puissantes entités engagées dans plusieurs activités complémentaires, comme Agrial ou Terrena. Elle s’est développée dans le Sud-Ouest, chez Maïsadour ou Pau-Euralis. Elle atteint maintenant l’Est de la France. Notre ambition, dans le domaine bovin, c’est de développer l’activité naisseur-engraisseur. C’est un vœu pieux exprimé depuis trop longtemps. Nous allons tâcher de lui donner forme.
LM : La coopération a connu un échec sur le dossier Socopa, dont Bigard a pris le contrôle majoritaire récemment. Pour quelles raisons les entreprises coopératives n’ont-elles pu intervenir ? Les coopératives céréalières, qui ont grandement participé à la restructuration de la filière dans l’Est de la France, n’ont-elles pas failli à leur rôle ?
PM : Dans cette affaire, le véritable échec, c’est que Socopa n’ait pas réussi à surmonter sa fragilité financière. Je pense que nous n’aurions pas connu cette situation avec un actionnaire majoritaire fort. Mon point de vue, c’est qu’en matière de gouvernance coopérative, il est nécessaire que domine un actionnaire majoritaire ou tout du moins un noyau dur. J’en ai l’expérience dans l’alliance que nous avons contractée entre EMC2, Nouricia et Champagne Céréales au sein de Syclae, notre holding industrielle.
LM : Mais cette reprise par un privé est néanmoins un regret pour la coopération agricole ?
PM : Bien sûr. Mais je fais une lecture de cet événement plus positive. C’est un fait que les entreprises coopératives ont participé à l’émergence du n°1 de la viande bovine en Europe, car elles sont actionnaires de ce groupe, même minoritairement. Cela, c’est positif. Tout le monde sait que d’autres groupes en Europe s’intéressaient à ce dossier. Ce rapprochement me paraît donc s’être fait dans l’intérêt des producteurs de bovins et de porcs français. Ils pèseront plus lourds à l’avenir dans la compétition européenne et face à la grande distribution. Peut-être même que cela permettra à cette entreprise un jour prochain d’investir en Europe de l’Est, où l’on sait qu’il existe un potentiel important de développement. J’ajoute que la coopération garde un pied dans l’entreprise et que l’on sera là s’il le faut. Quand on a près de 40 % dans une entreprise, on peut cultiver cet espoir.
LM : Où en est-on de la restructuration de la filière bovine en Lorraine, votre région d’origine, depuis la mise en redressement judiciaire de Fermiers Réunis, le principal utilisateur de l’outil de transformation régional, l’abattoir de Sarreguemines, filiale de la Coopérative agricole de production de viande (CAPV) ?
P.M : Je m’intéresse en effet à ce dossier au quotidien. Nous sommes en train de reconstruire un schéma régional entre les trois sections élevage des trois coopératives locales, la mienne, EMC2 (qui a fusionnée avec la coopérative de viande Alotis fin 2007) et CAL (dont le président n’est autre que… Hubert Grallet, président de Coop de France Métiers du grain, Ndlr) et LORCA au sein desquelles les coopératives CAPVL et CAPV ont respectivement vocation à se fondre. Dans ce schéma, l’avenir de Sarreguemines est hypothétique. Ses coûts de développement ont complètement dérapé et sa situation logistique est très discutable. Mais je reste persuadé qu’il y a de la place pour des circuits courts dans la région. C’est un sujet encore en cours de discussion.
LM : Une grosse coopérative laitière, Sodiaal-Yoplait pour ne pas la nommer, semble faire l’objet de l’intérêt persistant d’entreprises privées. Dans un contexte laitier difficile, quelles sont les solutions du secteur coopératif pour la maintenir dans son giron ?
PM : C’est le grand dossier de 2009 pour la coopération agricole. L’issue peut en passer par des alliances. Cela fait l’objet de discussions très vives. De l’extérieur, je ne peux constater qu’une chose, c’est que l’on parle actuellement de milliards d’euros pour renflouer des banques et qu’il ne se trouve personne pour considérer comme utile de dégager quelques dizaines de millions d’euros pour conserver l’un des fleurons internationaux de l’industrie alimentaire française. J’avoue que cela me laisse pantois. A ce propos, je ne peux que m’étonner que l’on continue à assimiler à des aides d’État les quelques avantages fiscaux consentis aux coopératives agricoles, alors même que l’on est en train de submerger d’aides d’État le secteur -privé- bancaire.
LM : Vous avez peu évoqué la question de l’innovation, thème central tous les deux ans du salon international de l’alimentation ? Quelles sont les voies d’avenir explorées par les coopératives ?
P.M : Elles n’ont jamais été aussi nombreuses, dans l’alimentaire comme dans d’autres industries. Elles seraient trop nombreuses à énumérer. Je ne prendrais que quelques exemples, développés à l’échelle semi-industrielle par ARD. Cette entité de recherche et développement a été créée par 14 coopératives agricoles du Nord-Est de la France. Elle est animée par M. Dutartre, directeur général adjoint de Champagne Céréales. 80 chercheurs y travaillent, en recherche fondamentale mais aussi dans des projets-pilote, dès que les projets s’annoncent prometteurs. Nous regardons notamment de près le développement de produits à base de matière première agricole qui pourraient se substituer à ceux de l’industrie chimique dans les produits de beauté ou d’entretien. Les axes de développement concernent la chimie verte, comme la production d’acide succinique ou de tensioactifs. C’est un exemple, mais il y en a d’autres, dans l’agroalimentaire aussi !