Il y a 40 ans, la fin d’une époque
Il avait fallu huit siècles pour que les Halles de Paris parvinssent à s’édifier jusque dans leur forme ultime. Il aura suffi de quatre ans pour qu’elles disparaissent de la surface de 10 hectares qu’elles occupaient dans le centre de Paris, principalement dans le I er arrondissement mais avec quelques ramifications vers les II e, III e et IV e arrondissement. De Philippe Auguste à Napoléon III, le « Ventre de Paris » tel que décrit par Emile Zola, fit l’objet quasi constant d’aménagements, de transformations profondes, d’édifications, qu’ordonnèrent les pouvoirs successifs pour assurer l’approvisionnement alimentaire des Parisiens. C’est en 1843 que naquit le projet d’aménagement confié par le préfet Rambuteau à l’architecte Pierre Baltard de construire 12 pavillons dont 10 furent érigés entre 1852 et 1870 et les deux derniers… en 1936.
Ces pavillons, faits de colonnettes en fonte et de verre dépoli, assurèrent pendant plus de cent ans leur œuvre nourricière auprès des Parisiens. Depuis le xii esiècle, chaque métamorphose des Halles a été imposée par des raisons, parfois des prétextes, logistiques, sanitaires économiques, voire politiques. La dernière d’entre elles n’y a pas échappé. Le glas des Halles centrales a sonné en 1959 avec la décision du transfert de la viande à la Villette (qui devait subir par la suite le même sort). Il fallut dix ans En fait, ce transfert fut très étalé, de 1969 pour les F&L, poissons etc, à 1973 pour la viande -transfert le 13 janvier 1973- et encore deux ans plus tard pour les fleurs. avant que ne commencent des obsèques qui s’achevèrent avec l’inhumation dans le fameux « trou » dont le seul titre de gloire fut le tournage d’un faux western moralisateur de Marco Ferreri Touche pas à la femme blanche.
Ah, les bistrots des Halles !
Il est certain qu’un Fellini eut trouvé une autre inspiration dans le spectacle quotidien du marché, les chariots chargés d’abats d’où émergeaient les têtes d’animaux, dans la promiscuité des élégantes noctambules et des « forts » maculés de sang, dans les bistrots où le canon de beaujolais côtoyait la bouteille de Dom Pérignon. Bon nombre de ces bistrots et restaurants, où l’on buvait sec et parlait fort, comme Au Pied de cochon, La Vieille, Au Chien qui fume, La Tour de Montlhéry, Pharamond, Clovis (où la cadence de vente quotidienne de champagne atteignait 400 bouteilles), La Cloche des Halles…, ont survécu au départ des mandataires, gargots, chevillards et autres grossistes en poissons, fruits et légumes ou produits laitiers. Ils sont devenus, pour la plupart des lieux de rencontre de la clientèle branchée et des touristes. Les boutiques de fringues ont remplacé les ateliers de découpe et autres entrepôts. Les temps ont vite changé autour de St-Eustache et la nostalgie n’est plus de mise devant les exigences du commerce alimentaire moderne.
Au moins peut-on regretter que ce grand transfert ait été entaché d’une note de vandalisme autorisé, les remarquables constructions de Baltard livrés aux ferrailleurs. Seuls deux pavillons ont survécu, l’un remonté dans un rôle de salle de spectacle à Nogent-sur-Marne et l’autre parti au Japon. Le talentueux Baltard trouvera une revanche posthume dans la remise en cause en 2004 d’un nouveau site qui n’a toujours pas convaincu, ni fait oublier ses pavillons.