«Il faut revoir la communication vers le consommateur »
Spécialiste du marketing des produits alimentaires, Xavier Gellynck a conduit sa première enquête sur la viande lors de sa nomination à l’université de Gand, au tout début des années 90. « La Belgique était un exportateur important de viande bovine, notamment vers la France, mais ces exportations ont beaucoup baissé à la fin des années 80, avec l’amélioration de l’autosuffisance française et la pression croissante des produits danois et néerlandais», se souvient-il. Depuis, les diverses crises alimentaires sont passées par là et il a conduit de nombreuses études sur les systèmes de réassurance mis en place, tant par les pouvoirs publics que par les filières de production. Un récent article dans Meat Science fait le point sur ses diverses enquêtes. Sa conclusion principale est sans appel : il faut revoir toute la communication vers le consommateur.
Les Marchés : Vous avez conduit plusieurs études sur la perception que le consommateur a de la viande et des systèmes d’assurance qualité, traçabilité ou label : quelle est votre principale conclusion ?
Xavier Gellynck : Les filières de production se sont organisées pour fournir un produit sain et sûr. Elles ont mis en place des systèmes d’assurance qualité, de traçabilité ou de label. Elles veulent donc absolument le faire savoir. Et elles communiquent sur leurs efforts de façon scientifique, rationnelle, objective, chiffrée et exhaustive en apportant des preuves en fonction de ce qu’elles pensent que le consommateur souhaite. Or, le consommateur s’en moque. Il tient pour acquis (sauf évidemment en pleine crise) que les produits qui lui sont proposés ne sont aucunement nocifs pour la santé. Il est sûr et certain que le zéro défaut est quotidien, même si on lui répète qu’il n’existe pas. Il a envie de communication émotionnelle sur la gourmandise, la saveur, les terroirs… Il a envie de rêver et non de lire. Rappelons que la communication collective qui marche le mieux c’est l’AOC et que le seul label vraiment connu chez vous c’est le Label Rouge.
Les Marchés : Concrètement, cela signifie qu’il faut cesser ces efforts ?
Xavier Gellynck : Non, pas du tout. Tous les systèmes qui ont été mis en place par les filières pour sécuriser la production sont excellents pour la communication business-to-business au sein même de la filière, entre l’agriculteur, l’abattoir, le transformateur, le distributeur. Il faut poursuivre les efforts. Mais la relation business-to-consumer s’établit sur d’autres bases : il faut savoir rompre cette communication trop froide en s’appuyant sur une marque porteuse d’image et qui rassure. Sur l’ensemble des produits agro-alimentaires, ce sont bien les grandes marques (et non les marques de distributeurs) qui engendrent le plus de confiance. Je crois aussi beaucoup dans les démarches collectives d’organisation de la production en amont. Notamment les marques collectives bien ancrées sur leur territoire. Mais attention aux surenchères dans les cahiers des charges qui ne construisent pas une vraie différenciation. Ils ont été au démarrage mis en place par la grande distribution pour intégrer de facto les autres maillons de la chaîne sans la prise de risque d’une véritable intégration.
Depuis notre naissance et jusqu’à notre vie professionnelle, il y a toujours quelqu’un pour nous dire ce que nous devons faire ou ce que nous ne devons pas faire. Alors, dans les rayons des grandes surfaces, le consommateur veut faire ses propres choix avec son argent, qu’il a bien mérité, et non, encore une fois, être guidé par ce qui est bon pour lui selon… les autres. Et qu’on voudrait lui faire payer plus cher !
Les Marchés : Est ce à dire que la distribution doit être porteuse de cette communication ?
Xavier Gellynck :Je pense que les producteurs se trompent de client : ils pensent toujours que leur client c’est la distribution alors qu’en fait c’est bien le consommateur. Il faut revenir au fondamental. Remettre le consommateur au centre de la démarche commerciale de l’entrepreneur est la clé, tant de l’innovation que de la créativité.