Thé Guevara
S’il fallait trouver un produit manifestant, au propre comme au figuré, la véritable révolution intervenue depuis mai 68, ce serait celui-là. Y-a-t-il une part de provocation de la part de Fauchon que de lancer ces jours-ci un thé vert de Chine habillé des couleurs et des slogans du printemps qui a fait trembler la France et dont on célèbre cette année le quarantenaire? Peut-être pas. Ce faisant, la marque "bling-bling" de la Place de la Madeleine ne fait que constater -et profiter- de la volteface opérée par une génération et par ses héritiers proclamés en direction de valeurs naguère honnies. Fauchon a donc fait des slogans des étudiants de la Sorbonne une astuce marketing pour infusions, un peu comme l’image de Che Guevara est devenue un motif permettant de vendre cher à de jeunes privilégiés des tee-shirts et des casquettes fabriqués à vil prix en Chine. On se souvient que dans l’après-Mai, des groupes militants avaient développé un nouveau type d’activisme. Celui du vol de produits alimentaires de luxe, notamment dans les rayons de Fauchon, pour les redistribuer généreusement aux «couches populaires». 40 ans après, l’enseigne de luxe réalise l’impossible que réclamaient à cors et à cris les activistes de l’époque. Celui de ressusciter le passé, comme la madeleine de Proust. Les anciens enragés de Mai pourront tremper la leur dans du thé. Pas dans n’importe lequel. Du thé de chez Fauchon. Evidemment, ça coûte un peu cher. 15 euros la boîte. Mais cette génération partageuse en a souvent les moyens.