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Fraudes aux aides de la Pac : toutes les juridictions s'en mêlent

On aurait pu penser que les actions en remboursement d'aides de la Pac indûment perçues étaient un débat désormais clos, les subsides européens ayant quasi disparu en une décennie. Bien au contraire, les derniers contentieux ont été l'occasion de débats de principe : celui de la prescription des poursuites.

Parallèlement aux règlements sectoriels de la Pac, propres à chaque filière, existe depuis 1995, un règlement horizontal, destiné à « protéger les intérêts financiers des communautés » en harmonisant les aspects procéduraux des poursuites en recouvrement d'aides indues par les autorités administratives des États membres. Ce règlement 2988/95, largement méconnu, avait vocation à rappeler aux États membres, leur responsabilité dans le cadre de la gestion décentralisée des ressources européennes (plus de la moitié des dépenses européennes étant versées aux bénéficiaires, par l'intermédiaire des États membres). Il est essentiellement centré sur des considérations très générales de nécessité de lutte contre la fraude, de mutualisation des moyens, mais s'attache également à rappeler qu'en vertu des principes d'équité, de proportionnalité et de non bis in idem, les États membres doivent veiller à éviter un cumul de sanctions pécuniaires administratives communautaires et de sanctions pénales nationales. Mais la différence entre « mesures et sanctions communautaires prises sur la base des règlements sectoriels » et comportement des opérateurs punissables au regard du droit pénal de chaque État membre n'est pas d'une clarté absolue. La notion d'irrégularité est appréhendée au sens large par le règlement, c'est-à-dire couvrant tout acte ou omission d'un opérateur, en d'autres mots : de la simple négligence jusqu'à la fraude caractérisée. Elle a donc donné lieu à de nombreux contentieux.

Délai de prescription des poursuites

À cette occasion, un autre point essentiel a été soulevé, celui de la prescription. L'article 3.1 dudit règlement dispose : « le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité... ». Mais l'alinéa 3 précise : « les États membres conservent la possibilité d'appliquer un délai plus long que celui prévu au paragraphe 1 ». C'est sur l'interprétation de cet article que se sont cristallées les positions, en particulier dans le cadre de dossiers complexes et anciens de fraudes. L'autorité administrative française, FranceAgriMer, a, dans ces cas, farouchement défendu l'application de la prescription trentenaire encore d'application en France jusqu'en 2008 (remplacée depuis lors par une prescription de dix ans), pour justifier d'avoir émis très tardivement, parfois plus de dix ans après la commission de l'irrégularité, un titre de recouvrement. Et les opérateurs ont tout aussi fermement milité en faveur d'une stricte application du règlement et de la prescription de quatre ans qu'il établit. Ni les tri-bunaux administratifs, ni les cours administratives d'appel n'ayant eu le courage de trancher ce litige, c'est très logiquement au Conseil d'État qu'est revenue la tâche délicate de juger si la prescription de trente ans correspondait à l'esprit de l'article 3 précité et du principe de proportionnalité. La Haute Autorité a tranché en faveur de la prescription quadriennale, prenant ainsi acte de décisions antérieures de la CJUE. Le débat est enfin clos et de nombreux titres de recouvrement « tardifs », ont pu ainsi être annulés.

Protection des bénéficiaires

Ce règlement 2988/95 n'avait guère été utilisé les quinze premières années de sa publication et aurait – presque – pu devenir, de facto, obsolète. Le combat de principe mené par FranceAgriMer au sujet de la prescription, a, au contraire, permis de lui redonner toutes ses lettres de noblesse. Il méritait d'être commenté, tant il est rare que le droit européen se mêle de questions de procédure. Le principe de la gestion décentralisée des fonds européens semblait laisser aux États membres le choix des armes, du moment que la protection des intérêts financiers européens était assurée. Mais surtout, l'histoire est morale, puisque ce règlement s'avère être davantage protecteur des intérêts… des bénéficiaires des fonds européens.

LE CABINET KELLER & HECKMAN

Keller & Heckman est un cabinet international de droits des affaires, spécialisé en droits agroalimentaires, matériaux en contact alimentaires, environnement et publicité, présent à Bruxelles, Paris, San Francisco, Shanghai et Washington. Katia Merten-Lentz est avocate-associée au sein du cabinet Keller & Heckman. Elle est chargée de toutes les questions agroalimentaires, européennes et nationales, et ce, pour toutes les filières de la chaîne alimentaire. Elle intervient tant en conseil qu'en contentieux, auprès des industries de l'agroalimentaire pour la mise en œuvre de la réglementation agricole et alimentaire de l'Union européenne.

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