Durcissement des règles de la concurrence en matière agricole
La spécificité du secteur agricole ne l’affranchit pas pour autant du respect des règles de concurrence. C’est ce que l’Autorité de la concurrence vient de rappeler, quelque peu brutalement, dans sa récente « décision endives » 1.
L’actualité est dense 2 ces dernières semaines dans le secteur alimentaire, jusqu’ici « ménagé » par le droit de la concurrence. La « décision endives », qui sanctionne plutôt sévèrement les producteurs d’endives pour une entente sur les prix, est lourde de conséquences pour le secteur agricole. Contrairement à l’argumentaire présenté par l’Autorité de concurrence, qui a manifestement tenté d’anticiper les critiques en insistant sur le fait que « les participants avaient conscience de l’illicéité de ces pratiques », l’amende d’un montant de 3,6 millions d’euros apparaît élevée pour un si petit secteur 3.
Mais surtout, et plus symboliquement, en s’attaquant à une organisation de producteurs (OP), la « décision endives » rappelle que les règles particulières applicables au secteur agricole ne vont pas jusqu’à permettre une entente horizontale sur les prix.
L’agriculture, secteur protégé
Dès la signature des traités de Rome en 1957, et afin d’assurer l’autosuffisance alimentaire de l’Europe en cette période d’après-guerre, la Pac a été l’une des politiques européennes les plus abouties. Pour garantir son efficacité, il a été tenu compte des spécificités du secteur agricole, et décidé que les règles de concurrence ne seraient applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Conseil. Celui-ci a ainsi adopté, dès le 4 avril 1962, le règlement n° 26 précisant que les pratiques, décisions et accords anticoncurrentiels « qui font partie intégrante d’une organisation nationale de marché ou qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs [de la Pac] » ne seraient pas interdits conformément aux règles de concurrence. L’agriculture a donc bénéficié, dès l’origine, d’un régime privilégié dès lors que les actions menées dans ce secteur répondaient aux objectifs fixés par la Pac.
Priorité croissante donnée aux règles de concurrence
Pour autant, l’objectif affiché par l’Europe a toujours été de réaliser un marché commun au sein duquel la concurrence serait libre. Pour ce faire, elle s’est dotée de règles de concurrence sanctionnant notamment les ententes, concentrations et abus de positions dominantes. Cette politique de concurrence s’est considérablement durcie au fil du temps, à tel point que c’est aujourd’hui l’Autorité de concurrence de la France (pourtant premier bénéficiaire de la Pac) qui applique avec le plus de rigueur ces règles au secteur agricole 4. La réforme de la Pac est l’occasion idéale pour clarifier ou actualiser l’articulation entre l’agriculture et les règles de concurrence, et les instances tant européennes que nationales sont conscientes de la nécessité d’un rééquilibrage… Mais les propositions de la Commission européenne, visant notamment au renforcement du mécanisme des OP 5, risquent de rencontrer des oppositions dans le contexte actuel.
1. Décision n° 12-D-08 du 6 mars 2012.
2. Décision n° 12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des farines alimentaires ; décision n° 12-D-10 du 20 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’alimentation pour chiens et chats. Une procédure vient également d’être initiée dans le secteur du yaourt, soupçonné d’entente sur les prix proposés aux distributeurs.
3. Dans les années 2000, les amendes se limitaient à quelques dizaines de milliers d’euros. Par exemple, le comité économique agricole des fruits et légumes de Bretagne, ainsi que plusieurs OP, ont été sanctionnés pour un montant de 45 000 euros en raison de pratiques anticoncurrentielles sur le marché de gros du chou-fleur (Conseil de la concurrence, décision n° 05D-10, 15 mars 2005),
4. La Comisión Nacional de la Competencia (Espagne) a récemment sanctionné des OP et traders de fruits et légumes pour une entente horizontale fixant des prix minimums (résolution du 14 décembre 2011).
5. Les règles relatives à la reconnaissance des OP et des organisations interprofessionnelles seront élargies à tous les secteurs et accroîtront les possibilités d'établir de tels groupements de producteurs.