Droits d’accises différenciés sur la bière : un dispositif discriminatoire ?
L’article 23 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, adopté définitivement par l’Assemblée nationale le 3 décembre, propose une hausse du tarif du droit d’accises applicable à la bière. Pour les bières dont le titre alcoométrique excède 2,8 % en volume, le taux par hectolitre passerait de 1,38 euro à 3,60 euros par degré alcoométrique pour les brasseries dont la production annuelle est inférieure ou égale à 10 000 hectolitres, de 1,64 euros à 3,60 euros pour celles produisant de 10 000 à 50 000 hl, de 2,07 à 3,60 euros pour celles produisant entre 50 000 et 200 000 hl, et de 2,75 à 7,20 euros pour les brasseries dites industrielles produisant plus de 200 000 hectolitres par an. En réalité, ces hausses apparaissent fort différenciées (de +2,22 euros pour les plus petites productions à + 4,45 pour les productions industrielles), elles oscillent entre 160 et 163 % pour les deux extrêmes et sont donc relativement uniformes (2).
Ces différences de taux peuvent paraître discriminatoires au regard du principe d’égalité devant l’impôt institué par l’article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et reconnu comme un principe ayant valeur constitutionnelle, mais ce principe universel autorise, face à des situations différentes, des traitements différents, pourvu qu’ils soient justifiés. Et le gouvernement considère que la volonté de préserver les petites brasseries face aux industriels ayant une solidité économique supérieure, et la volonté de sauvegarder une production plus artisanale face à une production davantage de « masse », justifient l’application de droits d’accises différents en fonction de la production annuelle.
Les règles de Bruxelles
À la vérité, la France ne fait qu’utiliser la possibilité offerte par la réglementation de l’Union européenne : de telles discriminations sont en effet prévues depuis longtemps par la directive 92/83/CEE du Conseil du 19 octobre 1992, concernant l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool et les boissons alcooliques. Son article 4 autorise les États membres à appliquer des taux d’accises réduits à la bière brassée par de petites entreprises indépendantes si ces taux ne sont pas appliqués aux entreprises produisant plus de 200 000 hectolitres de bière par an et si le taux minimum n’est pas inférieur de plus de 50 % au taux normal de l’accise, étant précisé qu’une « petite brasserie indépendante » doit l’être économiquement et juridiquement de toute autre brasserie, utiliser des installations distinctes et ne pas produire sous licence et que l’État doit veiller à traiter de la même manière les produits en provenance des autres États membres.
Les taux profitent aux bières importées
C’est ce dernier point, avec l’ampleur des hausses envisagées plus que les disparités elles-mêmes, qui inquiète les producteurs, la discrimination par les taux profitant aux bières importées en France, notamment depuis la Belgique.
Si, en effet, la discrimination par les taux au profit des petites brasseries indépendantes est un fait ancien et légal, si par ailleurs le pourcentage de progression des taux est sensiblement égal pour les catégories extrêmes, la progression des taux eux-mêmes est de nature, compte tenu de son ampleur, à défavoriser les productions industrielles : à une préoccupation d’équilibre des comptes sociaux (et accessoirement de santé publique), qui aurait dû appeler une mesure économiquement neutre, est apportée une réponse de nature à produire des effets de marché en faveur des petits producteurs.
1. Contribution indirecte visant certaines catégories de produits (tabacs, alcools...)
2. L’Assemblée n’a en définitive retenu que deux taux, ce qui a profité aux brasseries de taille moyenne, dont le droit a été aligné sur celui des plus petites.