Des producteurs piégés sur internet
L’association « les pigeons réunis » vient de poser son siège à Coux en Ardèche. Elle regroupe des producteurs de fruits, légumes, fromages, charcuterie etc. grugés par des sociétés proposant de vendre leurs fabrications via internet. Si ces sociétés sont nombreuses, leurs combines procèdent de méthodes similaires : une approche téléphonique (jamais physique), une prospection commerciale insistante et agressive, la promesse de faire figurer les spécialités et le nom du fournisseur sur un site internet, celle d’obtenir des commandes régulières et généreusement payées et d’offrir des partenariats taillés à la mesure de chaque entreprise.
Autre point commun, une fois les chèques encaissés, au titre du « référencement» ou « frais techniques et logistiques», plus rien ne se passe : les produits sont présentés ponctuellement voire sans le nom du fournisseur, les commandes sont inexistantes ou, pour les plus vindicatifs, en quantités ridicules. Pourtant, les tarifs sont exorbitants : entre 7 600 et 36 000 euros selon deux témoignages. « Nous avons répertorié plus de 150 sociétés sur un des sites d’une des sociétés incriminées,explique Olivier Keller de la Confédération paysanne La Confédération paysanne procède à des investigations, mais son action ne se limite pas à la seule défense de ses adhérents. de la Drôme. En se basant sur la moyenne de ce que les 60 adhérents de l’association ont versé pour y figurer, on estime à 22 millions d’euros la somme encaissée par la société pour avoir vendu du vent».
Naïveté de la part de tous ces fabricants ? Pas sûr, car les moyens utilisés par une autre société sont ambigus : « Lorsque j’ai reçu la liste des produits retenus par ‘le comité d’achat de Carrefour.ce’, je cite les termes du fax,ajoute Franck Delabre producteur à Eyragues (13), je n’ai pas hésité à signer des chèques qu’un coursier est venu chercher à mon domicile à la tombée de la nuit. J’avais toujours espéré travailler avec ce distributeur, j’ai pensé que le moment était arrivé ». Bilan : une exploitation au bord de la faillite, une plainte pour escroquerie et aucun lien avec l’enseigne citée.
L’affaire qui circulait sous le manteau a été révélée par TF1 la semaine dernière. « Nous avons organisé une réunion en novembre avec les politiques et les administrations afin de les informer et de tirer la sonnette d’alarme», explique Véronique Léon, présidente de l’association.
« Car si des producteurs ont mis leurs exploitations en faillite — des sociétés n’ont pas hésité à contacter les banques pour les convaincre d’accorder des prêts afin de financer ces investissements - il faut déplorer aussi le suicide d’un exploitant du centre de la France qui avait contracté ce type d’engagement », poursuit-elle.
Le travail de compilation mené par l’association a démontré que le phénomène n’est pas localisé dans le Sud : il s’étend sur toute la France, en outre Mer, aux secteurs du commerce, de l’artisanat et même aux organismes de formation privés. Il est aussi facile d’imaginer, la réticence des « victimes » à parler des arnaques dont ils ont fait l’objet, ce qui laisse supposer un nombre très important d’actes délictueux. Le premier objectif de l’association « les pigeons réunis » est de médiatiser ces dérives afin d’informer les professionnels. Elle se propose de défendre collectivement les producteurs spoliés et s’est portée partie civile en plus des plaintes individuelles. Le dossier ne fait que s’ouvrir. Quand aux vraies galeries marchandes mises en cause, elles se disent elles-mêmes victimes de ces malversations. Le message suivant défilait hier sur la page d’accueil de l’une d’elle : « Notre galerie marchande n’accepte plus aucun nouveau fournisseur jusqu’à nouvel avis. Certaines personnes se font actuellement passer pour nos partenaires, prétextant une fusion avec notre établissement».