Cotisations interprofessionnelles et aides d’État : la fin d’une controverse
La question de savoir si les cotisations interprofessionnelles volontaires étendues (ndlr : communément appelées cotisations volontaires obligatoires – CVO) devaient être considérées comme relevant du régime des aides d’État, du fait de l’intervention de celui-ci pour les rendre obligatoires, agite les milieux interprofessionnels, les administrations et les commentateurs depuis que les interprofessions existent. Fondamentale pour évaluer le degré d’autonomie de ces organisations par rapport aux pouvoirs publics et à la Commission européenne, elle a en outre suscité de nombreux contentieux, encore en cours1.
En l’espèce, deux sociétés du groupe Doux avaient demandé devant le Conseil d’État l’annulation de la décision d’extension de l’avenant fixant le montant de la cotisation interprofessionnelle prélevée auprès des membres des professions représentées au sein du Cidef (Comité interprofessionnel de la dinde française), au motif qu’aucune notification préalable n’avait été effectuée à la Commission. En effet, l’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union déclare incompatibles avec le marché intérieur, dès lors qu’elles affectent les échanges entre États membres, « les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». L’article 108 soumet à l’approbation préalable de la Commission tout projet tendant à instituer ou modifier de telles aides, et ce, sous peine de nullité.
Le Conseil d’État avait alors saisi la Cour de justice de l’Union, afin qu’elle tranche la question et mette fin au débat.
Dans l’arrêt rendu le 30 mai 2013, la Cour souligne que, pour qu’il y ait aide d’État incompatible, il faut cumulativement : une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État ; susceptible d’affecter les échanges entre États membres ; accordant un avantage à son bénéficiaire ; et faussant ou menaçant de fausser la concurrence.
Aucun transfert de ressources d’État
Se concentrant sur la première condition, elle souligne que le financement au moyen de ressources d’État, élément constitutif de la notion d’aide d’État, n’est pas caractérisé : le mécanisme des cotisations volontaires étendues n’implique aucun transfert direct ou indirect de ressources d’État, les fonds ne transitant pas par l’État ou une entité publique et l’État ne renonçant à aucune ressource : « ces cotisations conservent leur caractère privé pendant tout leur parcours [...] » et, « en cas de défaut de paiement, l’organisation interprofessionnelle [...] ne dispose d’aucune prérogative étatique ». La Cour souligne encore : « les organisations interprofessionnelles sont des associations de droit privé et ne font pas partie de l’administration publique ».
Elle juge en conséquence que « la décision d’une autorité nationale étendant à l’ensemble des professionnels d’une filière agricole un accord, établi dans le cadre de l’organisation interprofessionnelle reconnue de cette filière, qui institue une cotisation volontaire obligatoire, ne constitue pas un élément d’une aide d’État ».
Une décision sans recours
Cette décision, émanant de la plus haute juridiction communautaire et insusceptible de recours, s’impose à l’ensemble des juridictions du territoire de l’Union européenne. Toutes les procédures qui avaient été suspendues dans son attente vont pouvoir reprendre, et tous les arguments découlant de la qualification d’aide d’État devront alors, à défaut d’autres éléments spécifiques, être rejetés.
La vigilance s’impose toutefois : toute volonté de l’État de maîtriser les organisations ou leurs actions serait de nature à remettre en cause la solution adoptée, et les discussions actuelles sur la réforme de l’OCM ne doivent pas aboutir à une « revanche » de la Commission, dont la thèse est écartée par la Cour et qui voit, de ce fait, son pouvoir de contrôle amoindri.
1 Voir notre chronique « les interprofessions agricoles dans l’incertitude juridique », LMH n° 9 du 7 mai 2009