Conflits entre marque et IGP : la Cour de cassation reste prudente
La société Brasserie Kronenbourg avait déposé en 1958 la marque Wel Scotch, régulièrement renouvelée depuis, pour désigner de la bière. Mais la société de droit écossais Scotch Whisky Association, considérant que cette marque était de nature à induire en erreur le consommateur, a assigné la société Kronenbourg en annulation et agissements parasitaires. Mal lui en prit !
Rédaction Réussir
Le 25 février 2010, la cour d’appel de Bordeaux rejetait les demandes de la Scotch Whisky Association, considérant qu’il n’y avait pas lieu d’interdire l’usage des termes « Wel Scotch » dès lors qu’ils n’étaient pas associés au terme « whisky ». Un pourvoi en cassation a été rejeté sans ambiguïté le 29 novembre 2011.
La solution est conforme à la jurisprudence actuelle en matière de propriété intellectuelle. Néanmoins, les cas de conflit étant rares, la décision rendue mérite qu’on s’y arrête.
La société écossaise avait en effet basé son pourvoi sur le droit spécifique des boissons spiritueuses et des indications géographiques protégées (IGP). Elle invoquait le règlement n° 110/2008 du 15 janvier 2008 relatif aux boissons spiritueuses.
Selon la société écossaise, le terme « scotch » était à lui seul synonyme de « whisky écossais » sur le fondement de ce texte.
Par ailleurs, elle se fondait sur les dispositions du règlement communautaire protégeant les IGP contre « toute usurpation, imitation ou évocation (…) ».
Enfin, l’article 643-1 du code rural prévoit que « le nom qui constitue l’appellation d’origine ou toute autre mention l’évoquant ne peuvent être employés pour aucun produit similaire (…) ».
Par conséquent, la cour d’appel ne pouvait pas considérer que l’utilisation du terme scotch dans la présentation de la bière Wel Scotch ne constituait pas même une évocation de l’indication géographique ou de l’appellation d’origine Scotch Whisky.
Enfin, il était reproché à la cour d’appel de n’avoir pas recherché si le terme scotch ne signifiait pas automatiquement, dans l’esprit du consommateur français, « scotch whisky », ce qui eût induit une confusion.
Une question d’antériorité
Or, la Cour de cassation va rejeter ces moyens pour des motifs de pur droit : la marque Wel Scotch était enregistrée bien avant l’entrée en vigueur des dispositions relatives aux dénominations géographiques des boissons spiritueuses. Le règlement sur les IGP prévoit bien qu’une marque enregistrée de bonne foi avant la date de protection de l’indication géographique peut continuer à être exploitée.
On le sait, la question de l’antériorité est toujours centrale en propriété intellectuelle. D’ailleurs, l’enregistrement d’un signe géographique passe toujours par une phase de recensement des utilisateurs du nom destiné à être protégé, de façon à définir la zone de protection aussi précisément que possible. Cette phase ne vaut pas pour les titulaires de marques dont la finalité du signe est évidemment différente.
Le droit des marques prévoit aussi que l’enregistrement peut être impossible en raison d’une appellation d’origine déjà enregistrée.
La Cour de cassation observe encore que les termes « scotch whisky » sont protégés, mais non le terme « scotch ».
Un troisième argument ne figure pas dans le raisonnement de la cour : la chambre des recours de l’Ohmi a considéré, voici environ deux ans, que le vin et la bière, bien que susceptibles d’être protégés à titre de marques dans la même classe de produits, n’étaient pas des produits identiques, ni même similaires, en raison des différences notables d’utilisation de l’un et de l’autre par les consommateurs.
Il ne fait aucun doute que ce raisonnement vaut a fortiori pour le scotch whisky comparé à la bière, même si le règlement sur les IGP peut permettre d’appréhender des cas d’usurpation de la réputation du produit bénéficiaire de l’IGP.