Bleu d'Auvergne : l'AOP doit s'adapter aux usages et nouvelles exigences

> Le bleu d'Auvergne bénéficie d'une AOP depuis 1975. Le nouveau cahier des charges implique toute la filière, soit 3 300 producteurs de lait, 6 fabricants et 4 producteurs fermiers sur 700 communes. En haut, Jean-Louis Galvaing, directeur du syndicat de défense.
En bouche, ils sont peut-être fondants et crémeux, mais entre eux, ils ne sont pas tendres ! Au pays des fromages à pâte persillée, des croûtes fleuries et des arômes de sous-bois, la lutte pour grappiller quelques centimètres de linéaire est impitoyable. Dans ce monde ultra-concurrentiel, le bleu d'Auvergne vit les quarante ans de son appellation d'origine avec sérénité, tout en restant lucide. ” Bien sûr, il ne retrouvera jamais les taux de croissance d'il y a quinze ou vingt ans. D'ailleurs, les ventes ne sont plus ce qu'elles étaient : supérieures à 5 500 tonnes autour de 2010, elles ont plongé en dessous des 5200 tonnes en 2013, pour atteindre 5146 tonnes l'année suivante. Mais le bleu d'Auvergne est toujours là, connu de tous les consommateurs et présent en France dans 95 % des points de vente. Né il y a 150 ans du génie d'un fermier des volcans d'Auvergne qui a eu l'idée d'ensemencer ses caillés avec de la moisissure de pain de seigle, le bleu d'Auvergne joue des coudes et s'impose face au roquefort et au Saint Agur® .
“La concurrence a toujours existé dans une France aux 400 fromages
« La concurrence a toujours existé dans une France aux 400 fromages, mais elle s'est amplifiée avec les médias et l'apparition de nouvelles marques très fortes », relève Didier Larroucau, directeur de l'usine Lactalis de Riom-ès-Montagnes et président du Syndicat interprofessionel régional du bleu d'Auvergne (Sirba), organisation de défense et de gestion de l'appellation. « Depuis son obtention en 1975, l'AOP est notre force, pour nous démarquer et nous développer. C'est grâce à elle que le bleu d'Auvergne a atteint cette notoriété. Mais elle doit s'adapter aux usages et aux nouvelles exigences des consommateurs. Rien n'est figé ! On est dans une amélioration continue », poursuit-il.
Évoluer, se moderniser sans oublier ses racines : en 2016, le nouveau décret d'application de l'AOP Bleu d'Auvergne entrera en application. Plus précis, plus détaillé, « le cahier des charges répond au besoin d'information en démontrant le caractère unique du bleu d'Auvergne et en resserrant les liens au terroir ». « Dans l'ancien décret, il n'y avait que des indications concernant la zone de production et quelques caractéristiques sur le produit. Là, on passe aux choses sérieuses », considère Jean-Louis Galvaing, directeur de l'interpro-fession, qui précise qu'il n'a pas été facile de réduire la zone de 1 500 à 700 communes.
Un plan de contrôle renforcéToute la filière est concernée : les 3 300 producteurs de lait, les six fabricants industriels et les quatre producteurs fermiers. L'ensemble est assorti d'un plan de contrôle renforcé, y compris au niveau des jurys de dégustation qui se réunissent huit fois par an pour noter et disqualifier, si besoin est, les fromages qui ne respectent pas les critères organoleptiques. « Cette réforme était nécessaire pour crédibiliser notre engagement collectif vis-à-vis de la qualité du produit », se réjouit Didier Larroucau.
En parallèle de ce nouveau cahier des charges, l'interprofession a lancé l'année dernière une étude de marché avec un cabinet de conseil spécialisé. « L'idée de ce travail de fond est de comprendre comment le bleu d'Auvergne se positionne sur le segment des fromages à pâte persillée. En analysant avec finesse les préférences des consommateurs et leurs attentes, on pourra dégager des axes d'optimisation et de développement potentiel pour ” l'offre AOP Bleu d'Auvergne », explique Aurélien Vorger, directeur du groupement d'employeurs des AOP persillées.
“ On espère un retour de plus-value
Les premiers résultats démontrent ainsi qu'en libre-service, le bleu d'Auvergne est particulièrement apprécié par « les amateurs de puissance », alors qu'une tendance claire se dessine en faveur de davantage de crémeux. « Nous attendons de cette étude qu'elle nous donne une vision pour l'avenir, confie Didier Larroucau. La question est de savoir si la filière est capable de produire le bleu d'Auvergne que les consommateurs d'aujourd'hui attendent… » Les responsables professionnels misent également beaucoup sur les recherches menées depuis 2013 par le pôle AOC Massif central visant à améliorer l'emballage des portions de bleu d'Auvergne vendues en libre-service. « C'est un rayon très concurrencé où il faut se singulariser pour être bien identifié, commente le président de l'Organisme de défense et de gestion. On a le nom, mais grâce à un emballage plus performant, on vise encore plus de qualité pour contenter les consommateurs. »
Un enjeu pour les marchés en France, pour les ventes à l'étranger et pour la filière en général qui attend la reconnaissance des efforts entrepris. « Il est clair qu'en nous engageant dans un cahier des charges plus strict, on espère un retour de plus-value », estime ainsi Bernard Raynaud, vice-président du Sirba et producteur de lait à Charmensac. « Si dans un premier temps, il s'agit de forger au bleu d'Auvergne une image de fromage de qualité, on voudrait bien, notamment du point de vue des producteurs et des transformateurs, que le prix de vente soit plus élevé. Mais ça viendra dans un second temps, d'autant que le bleu d'Auvergne a toujours été perçu comme une pâte persillée abordable », précise Didier Larroucau.
Budget de communication en hausseEnfin, confronté à des modes de consommation qui ont beaucoup évolué depuis les années 1980, le bleu d'Auvergne peaufine sa communication pour montrer qu'il est moderne et polyvalent. En 2015, avec un budget en hausse de 5,5 %, soit 200 000 euros environ, il renouvelle notamment son partenariat avec le rugby amateur auvergnat qui lui permet de toucher une cible familiale et jeune.
En cube à l'apéritif ou en salade, marié avec du spéculoos, de la poire ou du pain d'épices, cuisiné par des grands chefs… Qui aurait dit, il y a trente ans, que le bleu d'Auvergne se dégusterait à tous les moments de la journée, en dehors du traditionnel plateau de fromages ? « Et je suis certain qu'en 2030, le bleu d'Auvergne ne sera pas celui de 2015 ! », annonce Didier Larroucau.