Bien-être : ce que les Français savent vraiment
Une petite minorité de Français (13%) est capable de citer une seule mesure réglementaire relative au bien-être animal applicable en France. C’est l’un des enseignements d’un sondage national commandé par le Centre d’information des viandes (CIV) à la société Ed Institut Le sondage a été mené en janvier dernier auprès de 1 000 personnes représentatives de la population des chefs de ménages français. dont Les Marchés ont pu prendre connaissance cette semaine.
A l’origine de cette initiative, l’interprofession bovine et ovine (Interbev), entendait remettre en perspective les conclusions d’une consultation menée fin 2005 sur internet par la Commission européenne sur le bien-être animal, qui avait obtenu 44514 réponses à son questionnaire, dont 5361 pour la France (lire LM du 25 janvier). Une majorité de Français (59%) ayant répondu à cette consultation électronique avait considéré le niveau actuel de bien-être animal en Europe comme « faible» (22,9%) ou « très faible » (36%), une minorité le considérant comme « bon» (14,8%) ou « très bon » (8%). Et un pourcentage encore plus élevé (85%) indiquait souhaiter que les produits « soient étiquetés avec des informations claires sur les conditions de bien-être » des animaux concernés.
Une « contre-enquête »
L’inquiétude des professionnels de l’élevage et de la viande était que les résultats de cette enquête soient pris pour argent comptant et infléchissent d’éventuelles décisions réglementaires de la part de Bruxelles. Le but de la consultation était en effet d’informer la Commission européenne sur l’état de l’opinion européenne dans le cadre de la préparation du « Plan d’action communautaire sur la protection et le bien-être des animaux».
Or, selon l’interprofession française de la viande, les résultats de cette «enquête» sont en grande partie biaisés, du fait du mode de consultation choisi et de l’orientation tendancieuse des questions. De fait, «l’échantillon» qui émane de la consultation est loin d’être représentatif. Les Français ayant répondu sur le site de la Commission sont en grande majorité des femmes (60%). Les jeunes (plus utilisateurs d’internet que les autres) sont également sur-représentés (60% sont des moins de 40 ans).
Par ailleurs, la méthode de consultation « ouverte » pouvait laisser libre cours au lobbying, en particulier des proches des associations de protection animale.
Les doutes émis par Interbev sur la représentativité et l’objectivité de cette enquête sont corroborés par les résultats du sondage du CIV, mené, lui, auprès d’un échantillon représentatif de la population française. Les réponses obtenues concernant l’appréciation du niveau actuel du bien-être des animaux par les Français sont inverses de celles de la consultation européenne, alors même que les questions posées étaient identiques.
Des exemples ? Alors que dans la consultation de l’Union européenne, 59 % des Français ayant répondu considèrent que le niveau de bien-être animal est « faible» ou « très faible », ils sont seulement… 13 % dans le sondage CIV ! Selon ce dernier, 41 % sont d’accord pour dire au contraire que ce niveau est « moyen» (15 % pour la consultation UE) et 36 % comme « bon» ou « très bon » (23 % pour l’UE). Cette différence se retrouve sur toutes les questions par catégories et par espèces : vaches laitières, vaches de boucherie, ovins, porcins, etc.
Autre faiblesse de la consultation européenne : la question de l’étiquetage des conditions de bien-être sur les produits. L’enquête commandée par le CIV obtient pour une fois un résultat similaire à la consultation de Bruxelles : 81 % des Français y sont favorables. Mais le CIV a également soumis la question suivante : les mêmes personnes seraient-elles prêtes à admettre un coût supplémentaire des produits pour que cet étiquetage soit mis en place ? Résultat : 41 % seulement des sondés seraient prêts à accepter un surcoût allant de 5 % à 10 % et 34 % refusent tout surcoût. Commentaire d’Interbev : « les questions qualitatives sur les intentions méritent d’être complétées par des questions quantitatives et concrètes qui permettent de mesurer le degré de fiabilité des réponses obtenues ».
Or c’est bien là que le bât blesse : un grand nombre de questions posées dans la consultation européenne, très connotées affectivement, orientent les réponses.
Au final, il ressort surtout de la « contre-enquête » menée par le CIV que les Français (et sans doute les Européens) méconnaissent les applications concrètes du bien-être animal. Si 68 % des sondés savent qu’il existe une réglementation nationale, un très faible pourcentage (13 %), est à même d’en citer une disposition concrète.
Quel bien-être animal dans les pays-tiers?
Dans un courrier adressé mi-avril au commissaire européen à la santé Marcos Kyprianou, chargé du dossier du bien-être animal dans lequel il lui présente les résultats de ce sondage, le président d’interbev Denis Sibille souligne que cette méconnaissance interdit de prendre au pied de la lettre les réponses fournies par une consultation aux résultats, on l’a vu, très contestable. « Une telle méconnaissance des dispositifs nationaux et communautaires montre qu’il faut prendre avec prudence les demandes exprimées par les citoyens pour un meilleur bien-être, puisqu’ils n’ont pas une base concrète d’appréciation », écrit-il. Aussi la filière viande française incite-t-elle le commissaire « à faire preuve de prudence dans les conclusions qui pourraient être tirées ».
« Le risque est grand de conclure à la nécessité de légiférer et de réglementer encore dans ce domaine alors que les standards européens sont très élevés. Dans le même temps, l’UE, dans les discussions OMC, envisage d’élargir considérablement l’entrée de produits animaux obtenus dans des pays qui sont loin d’appliquer les mêmes règles », rappelle le président d’Interbev. Denis Sibille note également que la suppression des restitutions sur les animaux vivants décidée récemment par Bruxelles « substitue un approvisionnement sud-américain (18-20 jours de bateau) à l’approvisionnement européen (5-10 jours), dégradant les conditions de bien-être des animaux ainsi transportés ». Mais celà, les Français le savent-ils ?