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Le veau sous la mère subit de plein fouet la crise

Confrontée à la progression des prix du maigre et à l’érosion du nombre de producteurs, la filière veau sous la mère est inquiète de son devenir. Pour enrayer la perte de production, les acteurs de la filière cherchent différentes solutions.

La production de veaux sous la mère n’a pas vu d’embellie sur ses cours contrairement aux autres productions d’élevage.
La production de veaux sous la mère n’a pas vu d’embellie sur ses cours contrairement aux autres productions d’élevage.
© C. Delisle

Le pessimisme a gagné la filière veau sous la mère. Et pour cause. Alors que les charges des producteurs s’alourdissent (poudre de lait à plus de 4 000 euros la tonne), les prix du veau de lait sous la mère n’ont, de leur côté, pas évolué. « En moyenne aujourd’hui, les charges d’aliment pour produire un veau de lait s’élèvent à 400 euros. Au niveau des cours actuels qui s’affichent entre 9 et 9,50 euros par kilo carcasse, il n’est donc pas intéressant, rapporté à la charge de travail, d’en produire actuellement », observe Coralie Sirieix, de la chambre d’agriculture de Corrèze.

« Depuis mars, il manque, suivant les catégories, de 1 à 1,5 euro voire 2 euros du kilo carcasse pour certains veaux », souligne Gilbert Delmond, éleveur de veaux en Corrèze et président d’Elvea 19. À cela s’ajoute la progression des prix du maigre. Pour les producteurs de veaux de lait, c’est une incitation supplémentaire pour se tourner vers la production de broutards, moins contraignante en temps de travail. « On aura beau proposer des innovations techniques aux éleveurs, si les prix ne suivent pas les coûts de production, on ne va pas réussir à les motiver », note Franck Terrieux, éleveur de veaux sous la mère en Corrèze et président du Civo (comité interprofessionnel du veau sous la mère).

La chaleur impacte la consommation

La consommation en régression de cette viande haut de gamme n’est pas non plus un facteur engageant. Le pouvoir d’achat des ménages en baisse et les températures élevées ont un impact direct sur la consommation de viande de veau de lait. Cette dernière est en effet considérée comme chère par rapport à celle de porc ou de volaille. « Le VSLM n’est par ailleurs pas une viande d’été. Les gens n’y pensent pas pour leur barbecue. C’est un gros frein ! D’autant plus que les évolutions du climat réduisent les périodes favorables à la consommation. Pourtant, un tendron de veau au barbecue, c’est très bon », observe Gilbert Delmond. Les cours chutent avec la chaleur, conséquence directe de la réduction de la consommation.

Lire aussi : [Sécheresse] "Une situation inédite et très préoccupante pour les éleveurs"

La production suit la même tendance. Cette perte de volumes (- 5 %, soit une perte de 295 000 veaux, en incluant les veaux de boucherie nés dans les cheptels laitiers et engraissés avec du lait en poudre) a des conséquences sur le montant de la redevance touchée par Interbev lors des abattages. « C’est ainsi, moins d’argent pour communiquer sur la filière et faire de la publicité sur le veau afin d’inciter les consommateurs à en acheter pendant les périodes chaudes. Depuis deux à trois ans, il n’y a plus de communication », explique Franck Terrieux.

La précocité des veaux fait partie des chantiers de travail engagés par l'interprofession.

Le rôle des bouchers est donc encore plus essentiel dans les grandes surfaces pour vendre les veaux et notamment dans le cas d’un double rayonnage. « Au niveau de Limousin promotion, on a trois personnes qui travaillent en relation directe avec les bouchers. Leur mission est de valoriser les veaux auprès de ces derniers pour qu’ils puissent le faire, à leur tour, auprès du consommateur », rapporte Gilbert Delmond. Des dégustations sont effectuées dans les GMS pour faire découvrir des morceaux moins onéreux que l’habituelle côte de veau mais eux aussi bien adaptés à une cuisson sur le barbecue.

Inciter les installations pour faire face à la pyramide des âges

« Nous sommes historiquement très attachés à cette production de veaux sous la mère car ce sont ces éleveurs qui sont à l’origine de la création de la coopérative, même si aujourd’hui, nous ne commercialisons plus que 700 veaux sous la mère par an. On rencontre des difficultés à la fois d’approvisionnement et de commercialisation. On a atteint un niveau de volumes pour lequel on se pose la question du maintien de la filière sur la coopérative. Nous n’avons plus que 10 éleveurs spécialisés. Sur notre zone, la production du veau sous la mère entre en concurrence avec d’autres productions », note Jean-Christophe Lévêque, technicien Celmar. Sur les sept premiers mois de l’année, la production en veaux labellisés a chuté de 14 % pour le label 03-81 et de 6 % pour le label 20-92 (1).

Lire aussi : L’installation, un enjeu majeur pour la filière bovins viande

En quinze ans, le nombre d’éleveurs et de veaux produits ne cesse de régresser. Et le nombre de départs à la retraite ne devrait pas inverser la tendance. Presque la moitié des éleveurs de VSLM ont plus de 50 ans. On compte trois départs pour une installation. Malgré l’agrandissement de la taille des exploitations, le nombre de veaux n’y est pas. « Jusqu’à présent, on arrivait à installer des jeunes car le revenu était intéressant. Le renouvellement n’était pas impacté. On risque de perdre 30 % de la production si la dégringolade continue. On espère que l’automne sera porteur d’espoir », précise Gilbert Delmond. Le veau sous la mère est longtemps resté la production de viande bovine la plus rémunératrice à l’hectare. Et surtout elle nécessite moins d’investissement lors d’une installation (moins de vaches et de SAU nécessaires), comparée aux autres productions bovines.

« Le Civo essaye de motiver les jeunes. Le veau est reconnu par les consommateurs. Des améliorations techniques sont mises en œuvre avec de nouveaux systèmes de tétées moins contraignants. Pour en réduire l’astreinte, certains éleveurs s’octroient une demi-journée sans tétée, sans impact technique sur la production », précise Coralie Sirieix.

Une PAC peu favorable à la filière veaux

La future PAC n’est pas non plus propice aux éleveurs de veaux sous la mère. Ils détiennent relativement peu d’UGB de plus de 16 mois : les veaux sont élevés jusqu’à un âge compris entre trois mois et cinq mois et demi, les génisses de renouvellement sont souvent achetées à l’extérieur et les "tantes" laitières qui étaient éligibles à l’actuelle ABA ne pourront l’année prochaine accéder qu’à la prime de niveau standard.

Ces systèmes assez chargés ont, de plus, souvent des aides de base supérieures à la moyenne et la convergence leur est défavorable. Les professionnels de la filière sont mobilisés pour trouver une solution de soutien à ces systèmes. « Par le biais du programme opérationnel, un travail en commun avec fil rouge (fédération interprofessionnelle des viandes label rouge, IGP et AOC) a été engagé. L’objectif de ce programme est de faire progresser l’outil de la filière afin d’améliorer la qualité du produit et, par ricochet, le revenu des éleveurs, en agissant sur les moyens de production. Les premiers éléments laissent entrevoir des aides spécifiques pour travailler sur la génétique », détaille Franck Terrieux.

Lire aussi : Première approche de la nouvelle PAC sur des cas-types bovins viande

Aujourd’hui, le classement des veaux est une autre problématique de la filière. Leur poids est chaque année de plus en plus élevé et le défaut de précocité des principales races utilisées fait que les carcasses peinent à être suffisamment finies." L’objectif est d’atteindre un état d’engraissement de 3. Or beaucoup ne sont qu’à 2. Depuis vingt ans, les veaux prennent un kilo vif de plus par an (149 kg carcasse en moyenne en 2021) et les éleveurs ont de plus en plus de mal à les finir. D’où la mise en œuvre d’un travail sur la précocité des taureaux limousins », note Coralie Sirieix.

Une consommation de plus en plus saisonnière

 

Chiffres clés

2 200 producteurs sur le grand quart Sud-Ouest de la France
21 organisations de producteurs
70 % des éleveurs sont engagés dans une filière de qualité
33 000 veaux sous la mère labellisables
22 000 veaux sous la mère labellisés
1 055 points de vente engagés en label rouge
Source : Civo 2021

Chercher des solutions pour garder une production de veaux sous la mère

"À la Capel (coopérative agricole des productions et élevages la Quercynoise), nous travaillons également dans l’approvisionnement. De ce fait, nous avions anticipé la hausse du prix de la poudre de lait, en raison de l’augmentation importante en consommation humaine. C’est pourquoi, il y a deux ans, on a mis en place un système de plus-value et moins-value pour inciter les adhérents à produire des veaux plus légers et plus économes en temps de travail (veaux gardés moins longtemps) et en coûts (moins de quantités de poudre de lait et coûts de production)", précise Mickaël Sarcou, chef de marché veaux de lait sous la mère.

Pour les veaux dépassant les 172 kg, une moins-value de 50 centimes du kilo carcasse était appliquée, alors que pour les veaux de lait plus légers (120 à 150 kg), les éleveurs touchaient une plus-value de 50 centimes par rapport à la grille. « À l’époque, cette mesure a été peu suivie, les prix de la poudre n’ayant pas encore explosé. Aujourd’hui avec l’explosion du prix, on est resté sur cette idée. Malgré cela, on observe de nombreux arrêts. »

Travailler sur des productions proches

La Capel a par ailleurs engagé avec Denkavit un travail pour produire un veau fermier sur paille rosé clair à blanc, plus facile à produire. « Cet essai est en aucun cas un affront au label. La coopérative en est une grande défenseuse. On voit plutôt cela comme une alternative pour limiter l’érosion. Un éleveur de veau sous la mère qui arrête ne revient pas en arrière. »

L’idée est de produire un veau avec un aliment sec garanti sans fer, avec une tétée matin et soir et sans lait reconstitué. « Ceci permet un gain de temps d’une heure à chaque tétée, de limiter les contraintes, de se faire remplacer plus facilement, pour un veau d’une qualité proche du veau de lait. » L’objectif est de sortir de jeunes veaux de qualité, d’un poids de 140 à 150 kg. « Aujourd’hui, il n’existe pas de marché mais on sait que les veaux vont manquer à l’automne. Pour l’essai, la rémunération se base sur Egalim. La consommation de veaux de lait sous label se concentre de plus en plus. On peut imaginer une production de VSLM de septembre à la première quinzaine de janvier puis, le restant de l’année, du veau fermier."

À la recherche de veaux plus précoces

À la station de Moussours en Corrèze, un travail d’évaluation de la composition corporelle (gras/muscles) des veaux de lait, à partir d’échographies, a été engagé.

Photo d'une échographie, épaisseur  gras dorsal et muscle.

Les dernières actions mises en œuvre par le Civo concernent un critère essentiel, la précocité des veaux de lait pour tenter de remédier au manque de dépôt de gras de couverture. En effet, le travail de sélection entrepris dans le schéma de la race limousine tend vers des animaux de plus en plus tardifs. Cela se traduit pour les producteurs de VSLM par des difficultés croissantes pour produire des animaux de moins de 170 kg carcasse, âgés de moins de 5,5 mois et extériorisant un dépôt de gras suffisant. C’est pourquoi, un programme commun avec la coopérative UALC (Union des coopératives d’insémination animale Auvergne Limousin Charente) a été lancé.

Pour cela, le choix a été fait d’utiliser l’échographie pour évaluer la composition corporelle des animaux. « Les pays étrangers ont largement recours à cette technique. Elle permet notamment de déterminer le moment optimum d’abattage pour les animaux en feedlots mais aussi, d’indexer les animaux en stations d’évaluation génétique, sur des caractères davantage liés aux qualités gustatives et sensorielles des viandes (gras de couverture, masse musculaire et persillé) », rapporte Marine Giroux, responsable du projet au sein de l’UALC.

Aller jusqu’à la création d’index

Ce travail a démarré sur les animaux présents à la station de Moussours, génisses et jeunes bovins de testage, à l’aide d’un échographe (Esaote MylabeOne) et d’une sonde linéaire gras muscle. Posée sur le dos et sur la croupe de l’animal, la sonde enregistre trois images par animal pour évaluer les épaisseurs de gras dorsal et de croupe (en mm), l’épaisseur du faux-filet (en mm), la superficie de la noix d’entrecôte (en cm²) ainsi que le gras intramusculaire (%). « Nous disposons désormais de dix-huit mois de données exploitables sur 320 génisses, 145 primipares, 192 veaux de lait (de 22 élevages) et 36 jeunes mâles au contrôle individuel, ainsi que des données de deux ateliers d’engraissement (demi-frères des taureaux) trois semaines avant abattage, à 11 mois, à 5 semaines après arrivée en engraissement et 3 mois après arrivée. Ces mesures effectuées à différents âges permettront de voir comment le gras se dépose (persillé, gras intramusculaire, rendement viande). »

Les premiers résultats seront bientôt disponibles. Les éléments recueillis jusque-là sont plutôt engageants. La collecte des données se poursuit en fermes. L’objectif final de ce projet est de disposer de trois index : un index gras de couverture, un faux-filet et un gras intermusculaire. Pour l’instant, l’idée est de bénéficier d’un classement des différents taureaux pour une utilisation en terminal ou pour des génisses de renouvellement propices à la production de veaux de lait.

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