La polyculture, un avenir pour la viticulture ?
Hier synonyme de performance, le modèle de spécialisation des exploitations est remis en cause. La diversification des cultures apparaît comme une voie de résilience à soutenir.
Hier synonyme de performance, le modèle de spécialisation des exploitations est remis en cause. La diversification des cultures apparaît comme une voie de résilience à soutenir.
Les exploitations viticoles se sont spécialisées tout au long du XXe siècle avec un rythme variable selon les régions. La spécialisation paraissait bénéfique au regard de la technicité et des investissements croissants requis. Mais aujourd’hui, ce Graal est questionné tout autant par l’évolution du marché du vin que par celle du climat.
Au domaine du Champ des Sœurs, à Fitou dans l’Aude, Laurent Maynadier, treizième génération de vigneron, vit ce questionnement. Dans les années 50-60, ses grands-parents ont opté pour la monoculture de la vigne en abandonnant l’élevage de brebis. Aujourd’hui, il cherche à se diversifier.
« Il y a cinq ans, nous avons compris que c’était inéluctable. Nous avons des coûts de production de 20 000 à 25 000 euros par hectare pour des récoltes qui s’amenuisent entre le gibier et la sécheresse », déplore-t-il. Il invoque aussi « la crise structurelle de la filière viticole ». Il a donc décidé de réduire sa surface de vigne et de trouver d’autres cultures permettant une valorisation. Un travail mené avec la chambre d’agriculture et l’Agence de l’eau.
Des projets encouragés et accompagnés
Dans le vignoble bordelais, le plan de crise en cours de déploiement promeut la diversification, parallèlement à l’arrachage. Selon une enquête menée par la chambre d’agriculture de Gironde, parmi les 1 372 exploitants viticoles se déclarant en difficulté, près de 20 % envisagent de se diversifier vers une autre production.
La chambre d’agriculture a lancé un véritable plan d’action, avec notamment un point Info diversification et des « rencontres de la diversification » dans le département. Elles réunissent jusqu’à « 80 à 100 personnes », selon Thomas Solans, élu de la chambre d’agriculture de Gironde en charge de la diversification, lui-même vigneron coopérateur et éleveur à Courpiac dans l’Entre-deux-Mers. Les projets vont faire l’objet d’aides régionales. Dans le vignoble des côtes-du-rhône, lui aussi confronté à une crise de débouchés et au changement climatique, le syndicat commence à réfléchir à un programme d’accompagnement à la diversification avec la chambre d’agriculture.
Le difficile choix d’une nouvelle activité à lancer
Mais quelles autres productions implanter ? À la chambre d’agriculture du Vaucluse, Nicolas Vaysse, conseiller référent sur la diversification, évoque le pistachier (voir encadré), l’amandier, la grenade, l’olivier ou encore le chanvre et les plantes aromatiques et médicinales. En Gironde, près d’une vingtaine de productions sont identifiées : olivier, chanvre, houblon, kiwi, safran, maraîchage, poules pondeuses, noisettes, raisin de table, porc en plein air… La chambre d’agriculture de Gironde propose un autodiagnostic en ligne pour se poser les questions essentielles.
Emmanuelle Filleron, chargée de mission à la chambre d’agriculture du Vaucluse, pointe quatre critères clés pour choisir. Le premier est la viabilité économique (niveau d’investissement, existence de débouchés). Le second est l’existence d’une filière structurée, gage d’un encadrement technique ainsi que de perspectives commerciales. Le troisième est le besoin en eau. « Il faut trouver un niveau de rentabilité globale sans forcément exclure l’irrigation mais en gardant un modèle cohérent avec le changement climatique », souligne-t-elle. Enfin, il y a l’aspect psychologique, non moins majeur.
« La diversification idéale n’existe pas », résume-t-elle. Il n’y a guère de production donnant des retours sur investissement à moins de cinq-six ans voire dix ans. Il faut avoir la capacité d’investir. Mais Thomas Solans, estime que pour les exploitants ayant envie de se former et d’apprendre, les aides importantes qui se mettent en place au niveau régional offrent des opportunités. Sa propre exploitation a toujours pratiqué la diversification avec le « vin qui reste la colonne vertébrale » et il juge que cela procure de l’agilité. Il l’accentue aujourd’hui en plantant des oliviers. Il observe l’arrivée d’une jeune génération « qui n’a pas envie d’être en monoculture ».
Les perspectives commerciales au cœur du projet
À Fitou, Laurent Maynadier a choisi. Exit le thym, victime du manque d’eau. Exit le romarin résistant à l’aridité mais manquant de débouchés économiques. Exit l’olivier et la pistache inappropriés sur ses parcelles morcelées, ainsi que le grenadier incompatible avec le vent élevé soufflant au moment de la floraison, ou l’amandier qui a besoin d’eau.
L’aloé véra s’est distingué, économe en phytos et résilient à la sécheresse. « On y croit car des sociétés de cosmétiques recherchent de la matière première », détaille Laurent Maynadier. Mais depuis que la crise économique et l’inflation se sont installées, le doute monte. « Pourquoi, ces entreprises achèteraient-elles de l’aloé véra local sans pouvoir le valoriser commercialement, alors qu’elles peuvent se fournir en aloé déshydraté mexicain ? », questionne le vigneron. N’étant pas sûr de pouvoir compter sur une véritable filière, il trace un plan B : monter un atelier de transformation en se groupant avec d’autres agriculteurs dans le cadre d’un GIEE. En parallèle, il va planter des variétés Bouquet pour faire du jus de raisin qu’il pourra associer à de l’aloé véra.
Les perspectives commerciales sont au cœur de tout projet. « Attention à ne pas reproduire un schéma dans lequel il y a beaucoup d’intermédiaires, peu de débouchés, peu de valeur ajoutée et où le producteur perd la maîtrise de sa production », alerte Thomas Solans.
Un accompagnement à inventer et organiser
Le besoin d’accompagnement est grand. « Au sein des chambres d’agriculture, nous sommes des experts par filière. Nous sommes mal outillés pour étudier les associations de culture », analyse Emmanuelle Filleron. Elle constate que l’accompagnement de la diversification sur le plan économique et technique nécessite de nouvelles méthodes de travail. « On doit monter en compétence, savoir mettre en connexion les agriculteurs entre eux et avec l’aval. Conseiller un arboriculteur qui a 50 hectares de verger et un agriculteur qui développe un modèle de diversification avec de la vente directe, ce n’est pas le même travail », illustre-t-elle. Les transitions ne se jouent donc pas que sur les terres agricoles mais également dans le cadre économique, institutionnel et politique, qui doit lui aussi évoluer à grande vitesse.
Sur la piste de la pistache
Au sein de la chambre d’agriculture du Vaucluse, Emmanuelle Filleron, chargée de mission, et Nicolas Vaysse, conseiller, pilotent notamment un GIEE expérimentant sa faisabilité en région Paca. Même si les premières pistaches ne seront récoltées qu’en septembre 2023, la filière s’est déjà structurée autour de l’association Pistache en Provence, lancée en 2018 et du syndicat de producteurs France Pistache, constitué en janvier 2021. Le but est de favoriser une dynamique collective et de veiller à un essor cohérent de la filière. Ce qui n’exclut pas une diversité de motivation au sein des producteurs. « Il y a autant de scénarios que d’exploitations agricoles », constate Emmanuelle Filleron.
Des premiers résultats encourageants
Avantage de cette culture, « c’est de l’arboriculture classique, pas de surprise », décrit Nicolas Vaysse. Pour une récolte mécanisée, il préconise 330 pieds à l’hectare et projette une production de l’ordre de 1,5 tonne (coque comprise). Le pistachier est peu exigeant en matière organique. Les sols peu filtrants et peu drainants sont toutefois à exclure. Si l’irrigation assure un meilleur rendement, Nicolas Vaysse estime, au regard de son expérience en arboriculture, que « c’est l’espèce la plus rentable sans irrigation ». Il observe qu’en Espagne, qui s’est lancée à fond dans la pistache (60 000 hectares), « la moitié des surfaces est en sec ». Du côté des inconvénients, les premiers fruits se récoltent à la septième feuille. Le calendrier est sensiblement le même que celui de la vigne, d’avril à octobre.
Vigneron et membre du GIEE, Aurélien Le Tellier s’est lancé il y a quatre ans sur 2 hectares au sein d’un domaine viticole monté avec un associé. « Sur le plan végétatif, ça fonctionne », se réjouit-il. Un constat d’autant plus encourageant qu’il a fait le choix de ne pas irriguer. Il a déjà réfléchi aux débouchés mais « attend l’épreuve de la réalité ». Il juge toutefois le risque modéré, avec un investissement de départ de 15 000 euros et un coût annuel de l’ordre de 600 euros par hectare. Il compte récolter entre 500 kilos et 1,5 tonne par hectare selon les années. Emmanuelle Filleron évoque pour la cuture du pistachier en France, une surface potentielle de 2 000 à 3 000 hectares.