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[Interview] Nadège Petit : « J’explique mais je ne rentre pas dans les polémiques »

Nadège Petit est installée avec son mari sur la ferme familiale de la Villedieu dans l’Eure.  Agricultrice et graphiste, mère de 4 enfants, elle est aussi très active sur les réseaux sociaux. Pour communiquer, elle a choisi la photo et le verbe. Son réseau favori : Twitter. Sa méthode favorite : la pédagogie. Expliquer, c’est donner les clés pour comprendre. Avec le groupe des AgriTwittos, très présent et actif cette semaine au SIA, l’objectif est de présenter l’agriculture française pour mieux la préserver.  

Un diplôme d’ingénieur agricole spécialisation productions végétales en poche, et après avoir travaillé dans le Nord, Nadège Petit est revenue s’installer sur l’exploitation normande de ses parents avec son mari en 2018. La Ferme de la Villedieu couvre 250 ha et est située dans l’Eure. Le couple y cultive du blé, de l’orge, du colza mais surtout des pommes de terre et du lin. La jeune femme est double active : agricultrice et graphiste. Cette deuxième activité l’amène à réaliser des documents pour des entreprises du secteur agricole et à concevoir des sites Internet. Des missions qu’elle peut mener en priorité pendant la période hivernale. Le reste du temps, elle est avant tout agricultrice. Nadège s’investit aussi beaucoup dans la communication. Sélectionnée par le ministère de l’Agricultrice, elle est devenue « Ambassadrice des entrepreneurs du vivant ». On peut la voir dans le spot promotionnel réalisé pour attirer les jeunes dans les métiers de l’agriculture. Elle est aussi très active sur les réseaux sociaux, en particulier au sein du groupe FranceAgriTwittos, association dont elle est aujourd’hui membre du bureau. Voilà pour le volet professionnel. Pour le côté privé, la pluriactive est mère de quatre enfants - deux aînés et deux jumeaux d’un an – et se passionne pour la photographie. Concilier le tout est un véritable défi mais elle y parvient et trouve important de parler de son travail au quotidien. Communiquer est une de ses missions. Témoignage.

 

Pourquoi êtes-vous sur les réseaux sociaux ?

Nadège Petit – « Parce qu’il y a pas mal de besoins. Le métier d’agriculteur est complexe et c’est intéressant de le montrer. Il faut expliquer aux urbains et même aux voisins. Dire par exemple qu’on ne peut pas aller traiter s’il y a du vent, qu’on respecte des « fenêtres ». Pour les éleveurs, rappeler que les animaux nécessitent des soins 2 fois par jour. Même en plein air, ils doivent faire boire leurs animaux. Tout ça n’est pas intuitif. Les gens connaissent notre métier à travers des filtres. Regardez les livres pour enfants ! Ils décrivent le métier d’agriculteur au travers d’une ferme, de fermiers, d’animaux… Ils ne donnent pas forcément conscience de tout le travail qui est derrière. Je suis aussi sur les réseaux sociaux pour sortir les agriculteurs de l’isolement. Moi, j’exploite avec mon mari. Mais il y a des agriculteurs qui sont seuls. Twitter est l’occasion de partager, d’échanger. Les réseaux sociaux permettent de vraies rencontres. Avec les AgriTwittos, on se retrouve dans les salons. On organise les TwittApéro, c’est devenu une habitude. C’est une grande richesse d’être sur les réseaux sociaux. C’est eux qui m’ont permis d’être dans un spot télé, de rencontrer des influenceurs. »

 

Sur quels réseaux êtes-vous présente ?

N. P. – « Je suis principalement sur Twitter, dans le réseau FranceAgriTwittos. C’est une équipe qui rassemble 50 % d’agriculteurs et 50 % de gens autour du monde agricole. C’est un groupe apolitique et asyndical, c’est sans doute ce qui intéresse les gens, ce qui nous rend plus audibles. On ne représente pas le monde agricole, on parle de notre quotidien. On a plus d’écoute, c’est moins biaisé. Mes propos sont plutôt pédagogiques et bienveillants. Je peux parler par exemple de la culture du blé dur pour laquelle une filière s’organise avec une dizaine de producteurs dans l’Eure pour une distribution avec une gamme spécifique en circuit court dans la grande distribution. J’ai aussi une page Facebook dédiée à la vente directe de notre production de pommes de terre. Et je suis aussi un peu présente sur Instagram. Là, c’est plus visuel et beaucoup moins pédagogique que sur Twitter. Je poste des photos, je ne fais pas de vidéos. »

Quel est le post dont vous êtes la plus fière ?

N. P. – « Je me souviens d’un thread que j’avais beaucoup travaillé. Le sujet était l’assolement et la rotation des cultures et je parlais aussi des néonicotinoïdes. J’avais pris du temps pour expliquer en reprenant mes cours. Je parle aussi beaucoup du lin. J’ai parfois l’impression de me répéter mais il faut redire les choses pour les nouveaux abonnés.  Mes publications sur cette culture sont souvent citées. C’est assez rigolo. »

 

Quelle est votre meilleure audience ?

N. P. – « J’ai 6000 abonnés sur Twitter, pas tous issus du monde agricole. J’ai aussi des particuliers, des journalistes… Mon meilleur tweet en termes d’audience est un message que j’ai envoyé à la suite d’un acte malveillant. Un matin, on m’a appelé pour me dire qu’il y avait des déchets qui avaient été déposés dans une de mes parcelles. J’avais mis une photo et des commentaires. Mon message a été retweeté 230 fois et a fait 820 " j’aime ". »

 

Un de vos messages a-t-il déjà été accueilli négativement ?

N. P. – « Non, je n’ai jamais eu vraiment de commentaires négatifs. Je n’ai pas tellement d’attaques. Ce que je publie, je le publie de façon pédagogique et raisonnable. Par exemple, pour le glyphosate, j’essaie d’expliquer pourquoi je l’utilise et comment. Idem pour les éoliennes à côté de la ferme. J’explique qu’elles sont là et comment je vis avec. Je ne prends pas partie. Je ne rentre pas dans les polémiques et ça m’évite d’y être. Je ne me sens pas agressée par les réseaux sociaux mais tout dépend de l’utilisation qu’on en fait. »

« Il faut rester simple, bienveillant et ne pas critiquer ce que font les autres. »

Y-a-t-il un post que vous regrettez ?

N. P. – « Une fois, j’ai fait un post sur un article qui parlait d’épandage. Ca parlait de villageois qui se mobilisaient contre les épandages de lisier d’un agriculteur. Moi, je ne comprends pas qu’on puisse être pour le bio et contre l’élevage et contre les épandages organiques. J’avais donc fait un post en réaction à l’article mais il s’est avéré finalement que les épandages étaient réalisés dans de mauvaises conditions et je me suis demandé si j’aurais dû parler de cet article. Ce n’était pas un bon support d’illustration pour mes propos mais je n’ai pas retiré le tweet. »

Un post qui vous a amusé ?

N. P. – « Dans le groupe FranceAgriTwittos on fait souvent des blagues entre nous. C’est le cas notamment avec Guillaume Boyet, un copain d’école avec qui j’ai travaillé dans le Nord avant de m’installer. Ce qui m’a amusée également, c’est de créer le #fenetresouvertes pendant le confinement. Je nous montrais au grand air et c’était comme une bouffée d’air pur pour les gens qui étaient enfermés. »

Un post qui vous a énervé ?

N. P. – « Oui, celui qui relayait un article sur un agriculteur de ma région. Le message était " il cultive sans glyphosate " mais j’ai trouvé inadmissible la façon dont c’était présenté. Il parlait de ses voisins qui font 3 passages de glyphosate et qui ont supprimé les haies. Il disait en gros que lui travaillait et pas les autres et que lui n’allait pas à la chasse. J’ai " debunké ". Quand il y a des articles de journaux de ce style, il faut remettre un peu de vérité. »

 

Avez-vous suivi un exemple ? Quel a été votre déclic pour vous lancer ?

N. P. – « J’ai suivi tous les grands. En premier, le président de notre association, Denis, qui a 20 000 abonnés. @AgriSkippy aussi, qui habite à 15 km de chez moi. Pour me lancer, j’ai aussi été conseillée par Guillaume Boyet. C’est un peu mon parrain FranceAgriTwittos. Mon déclic, ce sont tous ces ces gens m’ont encouragée. Comme tout le monde, j’ai eu du mal à me faire à Twitter au début. Il y a peu d’interaction, on a du mal à accrocher, ce n’est pas forcément facile. Quand on débute sur ce réseau, on est un peu seul dans son coin. Quand on a 15 " j’aime ", on est très content. C’est pour ça que j’envisage une formation pour les nouveaux. J’aimerais faire une journée d’initiation à Twitter dans le cadre de l’association. Il faudrait aussi que des personnes bien présentes sur Twitter puissent faire le lien en conversant et créant un peu d’émulation pour ceux qui commencent. »

« Comme tout le monde, j’ai eu du mal à me faire à Twitter au début. »

Combien de temps passez-vous sur les réseaux sociaux ?

N. P. – « Deux heures par jour au minimum. Il faut se méfier, ça peut devenir une addiction. Il faut faire attention vis-à-vis de sa famille. Pour moi, les réseaux sociaux sont devenus un vecteur d’information privilégié. On peut avoir beaucoup d’infos hyper rapidement et à la source. Ensuite, il faut trier. Pour les JO, la politique, l’Ukraine… Twitter est ma première source d’information. Je ne vais sur les autres médias que pour approfondir les sujets. »

Quels conseils donneriez-vous à un agriculteur qui veut se lancer sur les réseaux sociaux ?

N. P. – « Il faut y aller, mais avant, observer pour savoir qui est sur les réseaux sociaux et qui on veut pointer. Il y a différentes phases dans les réseaux sociaux : observer, partager et prendre la parole. Pour franchir cette troisième étape, il faut faire ce qui plaît. Si on aime faire des blagues, des chansons, des fables ou autre chose, il faut se lancer. Mon conseil, c’est de rester vrai et que ça ne coûte pas de le faire. Il faut que ce soit un plaisir. Avec notre association, nous avons conçu un guide vert " Comment communiquer sur les réseaux sociaux ? " en ligne sur notre site. Il faut rester simple, bienveillant et ne pas critiquer ce que font les autres. Je suis en conventionnel mais je ne critique pas le bio. Il ne faut pas se tirer dans les pattes. Je conseille aussi de débuter au sein d’une communauté, c’est toujours plus facile. Cela permet des rencontres et de s’entourer de gens bienveillants. Dans notre groupe, ce qui nous rassemble, c’est la passion agricole. On fait tous partie d’une famille qui veut défendre l’agriculture en France. Mais entre l’élevage laitier à la montagne et les céréales, il y a une grande diversité et c’est intéressant d’avoir les points de vue d’autres personnes. »

 

Retrouvez toutes les interviews des agriculteurs communiquant sur les réseaux :

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