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Didier Frémond
Transporter plus, plus loin, toujours plus vite

Le Musée national de la Marine à Paris accueille jusqu'au 28 juin 2015 l'exposition “De l'amphore au conteneur”. Didier Frémond, commissaire général, évoque deux millénaires de commerce maritime, où les préoccupations ont toujours été les mêmes.

FLD : L'exposition présente les évolutions qui sont intervenues dans le transport des denrées alimentaires, depuis la Rome antique jusqu'aux porte-conteneurs géants actuels. Pourquoi une telle exposition ?

DIDIER FRÉMOND : Le Musée national de la Marine n'avait pas réalisé jusqu'alors d'exposition d'importance sur le thème du commerce maritime. Le musée est surtout connu pour ce qui touche à la marine de guerre. Pourtant la marine de commerce prend une place importante dans les collections. De plus, le musée a aussi réfléchi à sa rénovation. C'est dans ce cadre que j'ai été amené à travailler avec Agnès Mirambet-Paris, conservatrice du patrimoine et commissaire générale de la présente exposition, sur de nouveaux thèmes et de nouvelles salles où la marine de commerce prendrait sa place. La direction du musée a désiré monter cette exposition, couvrant 1 000 m2 comme un test. En cela, elle préfigure le futur espace sur le commerce maritime.

FLD : Comment s'organise cette exposition ? Quels sont les buts recherchés ?

D. F. : Notre volonté est clairement celle de la transmission. Nous avons développé des outils afin que le public puisse s'approprier les connaissances (lire encadré p. 9). Le découpage de l'exposition en six thèmes répond aussi aux grandes périodes de la marine marchande : l'Antiquité, le Moyen Age, la période des grandes compagnies maritimes, le XIXe siècle, la période post-première guerre mondiale et enfin une section sur le développement du conteneur.

FLD : Dans la Rome antique, quel contenant est utilisé pour le transport des denrées alimentaires ?

D. F. : A notre grande surprise, nous nous sommes aperçus que l'on utilise déjà à cette époque différents types de contenant. Nous le savons à travers les représentations sur les mosaïques et les bas-reliefs retrouvés : des ballots, des sacs, et même le tonneau. Seulement, les recherches archéologiques n'ont pas tout retrouvé dans les épaves des navires. Nous présentons à l'entrée de l'exposition un fragment d'un dolium (dolia au pluriel) qui est une grosse jarre en terre cuite pour le transport des denrées, surtout du vin comme l'a attesté l'archéologie. Cette jarre pouvait contenir 3 000 litres et les navires en contenaient onze. A l'époque, on construisait le navire autour des dolias. Ce qui est frappant c'est de noter que ce contenant n'a été utilisé qu'une cinquantaine d'années. Très rapidement, le tonneau va le supplanter. On avance le problème du déplacement des marchandises dans la cale : si un dolium casse, l'équilibre du navire est fragilisé et il y a risque de naufrage.

FLD : Quels sont les produits transportés à l'époque ?

D. F. : Le vin et aussi le garum, une sauce à base de poissons. On peut aussi citer les salaisons, les fruits secs, l'huile d'olive... Il y a une donnée à toujours garder à l'esprit : dans le commerce maritime, on ne transporte que ce que l'on a intérêt à transporter. On ne transporte pas ce que l'on produit à proximité. Sauf s'il s'agit d'une denrée que l'on ne produit pas assez en quantité : c'est le cas du blé d'Egypte approvisionnant Rome. Dès le début, le transport maritime est une activité économique qui doit assurer un gain maximum. L'amphore se prête bien à cela : très pratique, peu coûteuse à produire, et facilement empilable dans la cale.

FLD : Le commerce maritime de l'époque est bien développé...

D. F. : Contrairement à l'image répandue, les liaisons sont nombreuses. On a retrouvé en Angleterre du vin d'Italie ayant transité par le port d'Arles. Ce port est intéressant car, à l'époque, il présente tous les aspects d'un port moderne : entrepôts, outils de levage, et des quais, ce qui n'est pas si courant. Le commerçant ventilait sa marchandise sur plusieurs navires afin de se garantir des risques de naufrage. Il existait même déjà un système d'assurance. Nous présentons des cols d'amphores prêtés par le Musée départemental Arles antique qui portent des inscriptions précieuses. Elles précisent le type de produit, son poids, le poids de l'amphore à vide, l'expéditeur et le destinataire.

FLD : Finalement, tout était déjà inventé pendant l'Antiquité...

D. F. : On peut être frappé par la continuité des thèmes tout au long des différentes périodes étudiées. Durant le Moyen Age, le transport maritime était très intense. Le placement du gouvernail à l'arrière du navire a donné plus de manœuvrabilité. Les bateaux vont être totalement pontés. Ce qui a interpellé les archéologues, c'est la façon dont était chargé un navire. Aucune ouverture n'était pratiquée dans le pont pour accéder à la cale ! En fait, ils supposent qu'une partie du pont était démontée le temps de charger les marchandises. Le tonneau s'impose définitivement. Venise et Gênes font commerce avec l'Orient, en particulier les épices. Les ports du Nord expédient le poisson, important dans une époque très religieuse, et surtout le sel. Dans l'exposition, nous présentons les résultats de fouilles de la baie de Bourgneuf en Bretagne qui, à cette époque, est une plaque tournante du sel du fait de ses marais salants. Vers la fin du Moyen Age, la cartographie va se perfectionner et les premiers traités de marine être publiés.

FLD : Est-ce à partir du XVe -XVIe siècle que le commerce maritime s'internationalise ?

D. F. : Cela commence avec les récits des marchands. En parlant de produits exotiques, ils suscitent une demande. De nouvelles routes s'ouvrent vers les Antilles et par le Cap de Bonne Espérance vers l'Asie. Le café, le thé, le cacao, le sucre font l'objet d'un commerce intensif qui va donner naissance au XVIIe siècle aux grandes compagnies. La plus connue est la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, née dans les Provinces-Unies en 1602. Avec elle, les lignes vont devenir plus régulières permettant d'organiser de vraies ventes aux enchères des denrées à leur arrivée au port. La France suivra soixante ans plus tard avec la création à Lorient d'une compagnie similaire. On cherche à limiter les risques liés à une navigation transatlantique ou vers l'Orient. La caisse, rectangulaire et parfois cylindrique, va s'imposer. Ce type de commerce perdure tout au long du XVIIIe siècle, voire même s'intensifie, l'habitude de consommer café et chocolat passant de l'aristocratie à la bourgeoisie, augmentant d'autant la demande.

FLD : L'arrivée de la vapeur va-t-elle bouleverser quelque peu le jeu ?

D. F. : Pas en France en tout cas. La voile ne disparaîtra complètement qu'à la toute fin du XIXe siècle. La place prise par le charbon dans les cales, réduisant d'autant le fret, et les aléas de l'approvisionnement ont freiné l'expansion de la vapeur. Le siècle est caractérisé par le développement du transport de masse et de nouveaux gains en vitesse, l'ouverture du canal de Suez en 1869 permettant de ne plus contourner l'Afrique. L'époque est à la consommation effrénée du thé, qui s'est démocratisé, et à la domination du clipper, ce voilier rapide. Nous montrons, dans l'exposition, l'évolution du port du Havre qui, en moins d'un demi-siècle, connaît d'importants travaux (docksentrepôts, grues, voies ferrées, canaux), le transformant totalement pour absorber le florissant commerce du café, du cacao, du poivre...

FLD : A quel moment apparaît le “tout cargo” ?

D. F. : A la fin du XIXe siècle, il y a une prise de conscience de la nécessité de différencier denrées et passagers. C'est la compagnie havraise Chargeurs Réunis qui est la première à constituer, dès 1876, une flotte entièrement dédiée au transport de marchandises vers l'Amérique du Sud. Il n'est plus nécessaire de conserver les parties réservées aux passagers. Dès 1880, on commence à aménager des espaces réfrigérés dans les cales pour les viandes congelées en provenance d'Argentine. Le mouvement s'accélère ensuite avec des cargos polyvalents, capables de transporter à la fois du grain et des marchandises réfrigérées. Après la deuxième guerre mondiale, les anciens “Liberty ship”, qui permettaient l'approvisionnement des troupes alliées, vont être cédés à des prix raisonnables. Le commerce de la banane entre Antilles et Métropole va en profiter, mais aussi les primeurs et les agrumes de l'Afrique du Nord. Après 1945, les navires se spécialisent selon leur cargaison (vraquier, bananier, méthanier...).

FLD : Le conteneur va tout changer !

D. F. : On le doit à un Américain, Malcom McLean, dans les années cinquante. Transporteur, il a cherché à optimiser le chargement des marchandises sur les navires. Il a d'abord trouvé un moyen d'embarquer directement ses camions sur les bateaux. Puis il a inventé une caisse aux dimensions du châssis du camion, mais dissociée de celui-ci, avec un volume égal à celui d'une remorque traditionnelle. D'une hauteur et d'une largeur fixes, même si ses longueurs peuvent varier, il facilite l'empilage dans les cales et en pontée. Il va rapidement s'imposer dans le transport maritime.

FLD : Finalement, des dolia romaines aux conteneurs, ne s'agit-il pas toujours de transporter plus, plus loin, plus vite... ?

« La “boîte” a permis de multiplier et de fluidifier les échanges internationaux. Le chargement est devenu anonyme. »

D. F. : Certes, depuis la première traversée transatlantique d'un navire porte-conteneurs en 1966, la “boîte” a permis de multiplier et de fluidifier les échanges internationaux. Le chargement est devenu anonyme. Les ports, qui jusqu'alors traitaient majoritairement du vrac, ont dû s'adapter en s'équipant de portiques, de chariots-cavaliers pour la manutention des conteneurs. Mes confrères du Musée maritime de Rotterdam m'ont dit combien les données réelles de l'activité du port flamand étaient devenues abstraites. Et lorsque l'on visite de telles places portuaires, la présence humaine est quasi absente. Le port moderne est aujourd'hui un port sans entrepôt. Autrefois centre de l'activité économique d'une ville, il en est aujourd'hui isolé. Propos recueillis par Philippe Gautier

Exposition “De l'amphore au conteneur” Jusqu'au 28 juin 2015 Musée national de la Marine Palais de Chaillot - Paris XVIe

A la fois livre et catalogue de l'exposition, “2000 ans de commerce maritime” est un parfait complément pour se familiariser avec un sujet très technique mais passionnant. Il souligne l'importance de la France dans le commerce naval international.            

Deux mille ans de commerce maritime De l'amphore au conteneur Par Agnès Mirambert-Paris et Didier Frémond Editions Gallimard - 8,90 €

UNE EXPOSITION TOUS PUBLICS

Cette exposition “De l'amphore au conteneur” a relevé le défi d'intéresser le public sur un sujet abrupt grâce à un parcours interactif et ludique : coupes tactiles de navires, expérimentations techniques, bornes olfactives... Des films d'animation relatant un voyage à chaque époque ont été spécialement créés. Ils permettent ainsi un dialogue avec les objets exposés issus des collections du musée et de collections publiques ou privées : modèles de navires, affiches, peintures, objets d'art et pièces archéologiques, outils qui jalonnent ainsi l'exposition. A noter : quatre jeux permettent de mettre en évidence les règles de chargement à respecter pour qu'une cargaison arrive à bon port (cf. photo).

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