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Crise sanitaire
Le lait de chèvre dans la tempête du Covid-19

Les laiteries et les producteurs se sont adaptés à la crise du Coronavirus. Mais les fromages AOP et de tradition souffrent gravement. Retour sur le début du confinement.

L’épidémie de coronavirus a impacté la France et le monde entier et la filière caprine n’y a pas échappé. Les mesures de confinement ont plongé les laiteries et les producteurs de fromages sous appellation dans une crise aussi subite qu’inédite.

D’abord, c’est la fermeture des écoles, des cantines et des restaurants qui a complètement fermé le débouché de la restauration hors domicile. Or, celui-ci représente environ 7 % des débouchés du fromage de chèvres. La fermeture des marchés alimentaires de plein air a aussi bouleversé les circuits commerciaux, surtout pour les fromages le plus haut de gamme, sous appellations ou produits par des fermiers ou des laiteries régionales.

Les Français ont privilégié le fromage en libre-service

Dans les grandes surfaces, les fromages en libre-service ont connu une forte croissance du fait de la hausse de consommation domestique. Les razzias des Français dans les supermarchés au début du confinement ont par exemple profité à la Vache qui rit, au Boursin et au Babybel puisque le groupe fromager Bel affiche une croissance de 12 % de ses ventes au premier trimestre. Les références de bûchettes de chèvre ont aussi profité de cet engouement. A contrario, ce sont plutôt les fromages les plus hauts de gamme qui ont trinqué. Les fromages fermiers et traditionnels, ceux sous appellation ou vendus au rayon coupe ont subi la fermeture de certains rayons à la coupe et une simplification des rayonnages.

Brutale modification de la consommation et de la distribution

Un sondage OpinionWay pour le Cniel réalisé début avril confirmait le reformatage des choix alimentaires des Français avec un recentrage sur l’essentiel en préférant des valeurs sûres et des produits connus et éprouvés. Si les produits laitiers sont globalement valorisés pour leur caractère essentiel et parce que leur intégration en cuisine les rend particulièrement recherchés, « le choix s’opère sur la base des qualités de conservation des produits, des références personnelles, de la capacité de choisir très vite le produit en rayon, de l’absence de manipulation préalable et en magasin et du prix, ce qui n’est pas favorable aux fromages de tradition ou à la coupe », note l’étude.

Une rapide adaptation des laiteries

Au-delà du choix du consommateur, c’est aussi la présence de tel ou tel réseau commercial dans les débouchés des entreprises qui a joué. « Tout ce qui se vendait au rayon coupe ou à la crémerie comme le sainte-maure-de-touraine ou le valancay a souffert, indique ainsi Dominique Verneau de Rians. Nous avons moins de pertes sur les selles-sur-cher, picodon ou chavignol davantage vendus en libre-service ou dans les supermarchés régionaux ».

Les laiteries ont donc dû vite s’adapter en recentrant leur production si besoin. Elles se sont aussi échangé des citernes ; celles ayant un excès de lait ont revendu leur lait à celles ayant davantage de capacités industrielles ou commerciales. Les laiteries ont également levé le pied sur les importations. « Elles ont aussi bien réagi en prenant davantage de lait d’éleveurs mixtes – laitier et fromager – qui connaissaient des difficultés pour vendre leurs fromages fermiers », apprécie Jacky Salinagardes, président de la Fnec et de l’Anicap. Cependant, certaines laiteries ont été obligées de brader les excès de lait sur le marché spot à un prix cassé de 300 à 400 euros les mille litres. « Nous avons aussi donné beaucoup de fromages aux personnels soignants des hôpitaux », explique Dominique Verneau de l’entreprise Rians qui a été très impactée par ces bouleversements. Les trois principaux intervenants du fromage de chèvre (Eurial, Savencia et Lactalis) semblent de leur côté avoir plutôt profité d’un marché du libre-service en croissance.

Un appel à modérer temporairement la production

Avec les arrêts maladie pour garder les enfants, les laiteries ont aussi dû fonctionner avec un sous-effectif évalué entre 15 et 20 %. La mise en application des mesures de distanciation au sein des fromageries a entraîné une réorganisation des chaînes de production et un ralentissement de la cadence.

Toutes ces perturbations sont arrivées de surcroît en plein pic de production annuel du lait. Cela a alerté l’interprofession caprine qui, pour éviter un excès de lait, a demandé le 26 mars aux éleveurs de réduire leur production dans la mesure du possible. L’idée était de modérer provisoirement la production le temps de se réorganiser afin d’éviter toutes destructions de lait. Pour accompagner techniquement ces mesures transitoires, l’Institut de l’élevage a donné des pistes pour produire moins de lait. Les laiteries ont relayé ces messages en fonction de leur marché et de leurs demandes.

Malgré les mesures de sécurité, le lien gardé avec les producteurs

« Nous avons appelé nos producteurs à la modération car chaque litre de lait en trop est un litre bradé, très mal valorisé, explique Dominique Verneau qui, en ces temps confinés, a multiplié les échanges avec les producteurs. Depuis le début de la crise, nous sommes en visioconférence deux fois par semaine avec les OP et nous avons envoyé chaque semaine une note à l’attention des producteurs ». « J’ai reçu un courrier de ma laiterie appelant à modérer la production pendant cette période difficile », confirme Samuel Hérault, livreur de lait dans les Deux-Sèvres et vice-président de la Fnec. Chaque producteur a, selon ses possibilités et sa volonté, réduit plus ou moins la production. « Cela a permis de réduire temporairement la production de 1 à 1,5 % », estime Jacky Salingardes.

Pour la collecte du lait, de strictes consignes d’hygiène et de sécurité sont aussi appliquées. Dans la ferme, « nous laissons les portes ouvertes pour ne pas que le laitier ait besoin de toucher les poignées, explique Samuel Hérault. Nous avons aussi laissé en évidence des essuie-mains jetables à côté du lavabo et du savon. Après son passage, nous désinfectons les vannes du tank ou le programmateur qu’il a touché. »

Du caillé en stock dans les entreprises

Finalement, un mois après l’appel à la modération, il n’y a pas eu d’arrêt de collecte. La destruction de lait ou de fromages semble heureusement être restée limitée. Seuls quelques producteurs fermiers, artisans ou petites entreprises semblent avoir dû détruire des fromages. Par contre, de grandes quantités de lait de chèvre ont été stockées sous forme de caillé congelé. Fin avril, l’Anicap estimait à 3 000 tonnes le total de caillé congelé à cause des pertes de marché, soit l’équivalent de 18 millions de litres de lait. « Il y a du stock mais ce n’est pas dramatique pour la filière, estime Jacky Salingardes, président de la Fnec et de l’Anicap. L’appel temporaire de baisse de la production a permis d’écrêter le pic de production. Il a permis d’aider à désengorger la filière et ne pas avoir à détruire de lait. Ça a été très tendu mais, maintenant que le pic de production est derrière nous, cet appel n’est plus de mise dans la plupart des laiteries. »

Des aides pour le caillé congelé

La Commission européenne a débloqué des aides au stockage privé pour retirer temporairement du marché de la viande et des produits laitiers sous forme de beurre, de poudre ou de fromage. Mais les aides à la congélation ne concernaient que les fromages finis et non le caillé. Or, pour les fromages lactiques de chèvre, la congélation du caillé est préférable car elle ne dégrade pas la texture et le goût du produit fini. La Fnec et l’Anicap ont alerté le ministère de l’Agriculture qui a relayé la demande française d’inclure le caillé dans ce dispositif. « Grâce à notre détermination, à nos multiples interventions à différents niveaux et à l’écoute du ministère, nous avons obtenu que soit éligible le caillé congelé également, et non seulement des produits finis stockés, et ce de façon rétroactive, c’est-à-dire prenant en compte les volumes déjà stockés pendant le confinement », se félicitait fin avril Jacky Salingardes. Cette aide est accessible dès 500 kg de caillé congelé. Mais, l’aide n’étant dotée que de 88 millions d’euros pour les produits laitiers et la viande de toute l’Europe, il faudra être réactif pour en profiter…

Les prix tiennent

La crise n’a pas entamé le prix du lait de chèvre. « Les très bonnes négociations conclues fin février ont porté leurs fruits et toutes les laiteries ont remis de l’argent aux producteurs, se félicite Jacky Salingardes. Même si les AOP et le rayon coupe souffrent, le marché des fromages de chèvres se porte bien globalement. Ce n’est pas la même situation qu’en lait de vache où la surproduction est mondiale. Il n’y a pas de raison que le prix baisse en caprin ».

Un appel à "Fromagir" pour soutenir les AOP

Les fromages sous appellation d’origine protégée ont été particulièrement touchés par la crise. Le Cnaol, le conseil des appellations d’origine, estimait des pertes d’activité de - 60 % en moyenne pour le mois de mars et à - 40 % en moyenne pour le mois d’avril. Une AOP sur deux a dû détruire du lait et une sur trois des fromages. Les TPE, PME et fermiers (avec de 70 à 100 % de réduction des ventes suivant les cas) sont particulièrement touchés, ainsi que les opérateurs orientés sur la restauration hors domicile ou encore sur la vente directe en zone touristique. Une situation de grande détresse est estimée pour plus de 10 % pour des producteurs fermiers et des laiteries.

Dérogations, demande de mesures d’urgence et de dérogations

Producteur de rocamadour, Dominique Chambon témoigne d’une baisse de 45 % de son chiffre d’affaires. « Les restaurants et les traiteurs, à qui je vendais beaucoup, sont arrêtés. Je stocke du caillé congelé et j’ai dû mettre cinq personnes sur 13 en chômage partiel ». Sans aucune visibilité sur la réouverture de la restauration ou sur la fréquentation touristique estivale, la situation est inquiétante pour nombre de fromagers.

« Durant les premières semaines de cette crise sanitaire, les Français se sont détournés de nos fromages AOP, allant vers des produits utilitaires et de première nécessité, regrette Michel Lacoste, le président du Cnaol. Pendant ce temps, nos entreprises laitières et producteurs fermiers ne peuvent plus écouler leurs produits. Nous demandons des mesures d’urgences aux pouvoirs publics et appelons les Français à manger du fromage sous signe de qualité et à retrouver leurs habitudes alimentaires d’avant la crise. » Des dérogations par rapport aux cahiers des charges ont été demandées. Le sainte-maure de Touraine peut par exemple être mis sous vide afin de ralentir son affinage.

#fromagissons pour relancer les fromages AOP

Pour faire face à cette dramatique baisse, le Cniel, l’interprofession du lait de vache, a lancé son appel « Fromagissons », contraction de « fromage » et « agissons ». Cette action relayée par le Cnaol, le conseil des appellations d’origine, et l’Anicap visent à soutenir la consommation de fromages de tradition. « La majorité des circuits de distribution de ce segment sont fermés (marchés, fromagers…) et les consommateurs en confinement boudent les aliments plaisir dont leur plateau de fromages », rappelait le Cniel dans un communiqué mi-avril.

Menée par tous les acteurs de la filière, cette campagne de communication nationale est « un appel à une consommation solidaire pour sauver le patrimoine fromager français ». Dans la presse et sur les réseaux sociaux, des messages sont postés avec « #fromagissons » pour stimuler au maximum l’intérêt pour les fromages AOP.

Des réflexions sont aussi en cours pour améliorer le référencement des produits fermiers et AOP dans les drives ou pour davantage orienter la communication collective de l’Anicap vers ces fromages de tradition.

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