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Élevage laitier : « Notre stratégie est dictée par le retour sur investissement »

Le Gaec Ferme Lorne, dans l’Yonne, dégage un bon résultat grâce à une stratégie de faible endettement et de raisonnement des intrants. Tout est dicté par le retour sur investissement : l’intérêt de la HVE comme l’investissement matériel ou humain.

Depuis l’installation de Boris Lorne en 2020 sur le Gaec familial à Soumaintrain, dans l’Yonne, l’EBE progresse. Sur l’exercice 2021-2022, il permet de sortir un revenu disponible de plus de 110 000 euros pour les deux associés du Gaec, Boris et Clément Lorne.

« Nous avons eu de la chance, avec un taux d’emprunt qui était inférieur à 1 % quand j’ai repris une exploitation céréalière de 62 hectares pour mon installation », souligne Boris Lorne. Leur prudence les a aussi grandement aidés. « Notre conseillère du Cerfrance nous disait de ne pas dépasser les 40 % d’endettement. C’est aussi notre conviction : faire attention aux investissements », soulignent les deux frères.

De l’autonomie en électricité, en paille et en maïs

À la Ferme Lorne, tout est calculé pour contenir les annuités. « Nous investissons là où c’est rentable, c’est-à-dire là où le retour sur investissement est rapide et significatif. » Les éleveurs ont investi en 2023 dans un tracker solaire quand ils ont vu le prix de l’électricité exploser. « Pendant douze ans, c’est une opération nulle : la vente d’électricité et l’économie réalisée grâce à l’autoconsommation correspondent aux annuités et à l’électricité achetée. Au bout de douze ans, le bénéfice sera de 8 000 euros. Notre objectif est d’être le plus autonomes possible en électricité. »

La reprise des 62 hectares de grandes cultures a permis à la Ferme Lorne de devenir autonome en paille, en orge et en maïs ensilage, en plus d’être autonome en herbe. Ce qui a consolidé économiquement le Gaec.

Fiche élevage

4,7 UMO : deux associés et 2,7 équivalents temps plein salariés

126 vaches laitières pour 105 vaches traites à 10 000 kg de lait par vache et par an

En AOP chaource avec 10 €/1 000 l de prime

154 ha de SFP dont 111 ha de prairies permanentes, 33 ha de maïs fourrage, 10 ha de prairies temporaires et de mélange de trèfles

84 ha de blé, maïs et orge

De la main-d’œuvre plutôt que du matériel

Boris et Clément investissent autant dans le matériel que dans le personnel, avec une préférence pour la main-d’œuvre, plus polyvalente et humainement plus intéressante ! « Voir et parler à des gens contribue à notre bien-être et à notre santé. Et puis, nous n’avons ni le savoir-faire ni le temps de bricoler, donc nous évitons les matériels qui demandent de la maintenance. »

Un temps de traite long et assumé

 

 
« Nous gagnons une heure à la traite quand un stagiaire vient en appui pour aller chercher et emmener les vaches au pré, laver le bloc traite, guider une vache au box ...
« Nous gagnons une heure à la traite quand un stagiaire vient en appui pour aller chercher et emmener les vaches au pré, laver le bloc traite, guider une vache au box infirmerie…» © C. Pruilh

Depuis l’installation de Boris Lorne, le Gaec embauche deux salariés de plus et prend davantage de stagiaires pour pallier le départ des parents. Les salariés sont plutôt polyvalents et réalisent des traites. Les stagiaires viennent en appui pour le soin aux animaux et à la traite, le nettoyage du matériel, la maintenance. Cette main-d’œuvre permet aux éleveurs de moins investir dans de nouveaux équipements.

La durée de traite est longue : 3h30 à 4h avec le nettoyage pour un seul trayeur, pour 105 vaches traites toute l’année, dans une salle de traite 2x7 en épi 50°, avec sortie rapide. « Nous ne voulons pas agrandir la salle de traite car le retour sur investissement n’est pas évident : le temps gagné n’est pas suffisant. Investir dans un chien électrique pour ne plus avoir à aller chercher les dernières vaches, demanderait des modifications importantes et coûteuses. » Une seule personne trait – associé ou salarié –, car « traire à deux ne fait pas gagner suffisamment de temps par rapport au fait de mobiliser une personne de plus ». Par contre, les trayeurs alternent à quatre.

 

 
Les vêlages sont plutôt étalés, pour occuper au maximum le bâtiment toute l’année. « Nous faisons en sorte d’avoir moins de vêlages en été, car c’est une ...
Les vêlages sont plutôt étalés, pour occuper au maximum le bâtiment toute l’année. « Nous faisons en sorte d’avoir moins de vêlages en été, car c’est une période de vacances pour nos salariés et nous-mêmes. Au mois d’août, nous travaillons à 3 au lieu de 5 personnes. » © C. Pruilh

La HVE intéressante économiquement

Les frères Lorne ont aussi décidé d’entrer dans la certification Haute valeur environnementale (première certification obtenue en janvier 2022), pour plusieurs raisons économiques. « Avec la HVE, nous n’avons plus besoin de réaliser l’audit phyto : quitte à payer un audit, je préfère payer celui pour la HVE que l’audit phyto. Car en plus, la HVE apporte des avantages. Pour la PAC, elle nous permet d’obtenir l’écorégime de niveau 2 par la voie certification. Sans cette possibilité, nous serions allés chercher l’écorégime par la voie diversification de l’assolement, ce qui aurait fait baisser notre marge en grandes cultures. Car ici, le blé, l’orge et le maïs sont les seules cultures qui permettent vraiment de dégager une marge intéressante. » Enfin, la HVE apporte un plus en vente directe. « Nous vendons à quelques cantines : elles y sont sensibles. »

La HVE a renforcé la réduction des intrants sur cultures

Pour les éleveurs, entrer dans la HVE ne changeait pas grand-chose, car le Gaec compte beaucoup de prairies et a une consommation d’intrants raisonnée. « Malgré tout, j’ai dû introduire le binage du maïs pour être dans les clous sur le volet phyto, précise Boris. Je prends le temps de choisir les variétés, notamment résistantes aux maladies et/ou à la verse, et de chercher le commerçant qui a les phytos adaptés à nos adventices. »

La HVE a poussé Boris Lorne à raisonner encore davantage la fertilisation minérale du maïs et des prairies. Pour réduire les intrants sur les cultures, « toutes les interventions sont raisonnées à la parcelle grâce à des observations. Il n’y a pas de passage systématique. Chaque parcelle a un itinéraire spécifique adapté à l’année et à son potentiel ».

Un atelier économe en frais d’élevage

Cette stratégie économe en intrants se retrouve sur certains postes de l’atelier laitier. Alexandre Machin, de Alysé conseil en élevage, met en avant un des points forts de l’exploitation. « Clément est un éleveur pointu, qui observe ses animaux et intervient en préventif. Il réalise les inséminations artificielles. Cela se reflète dans les frais vétérinaire et autres frais d’élevage (30 €/10 00 l) plus faibles que ceux du tiers le plus performant du groupe (45 €). »

« Nous faisons du parage préventif deux fois par an. Nous observons beaucoup les animaux, notamment à la traite. On tâte les vaches à leur sortie de salle de traite pour détecter des problèmes à la mamelle. Quand on intervient suffisamment tôt sur une mammite, avec une pommade d’huiles essentielles à base de menthe japonaise, en massant le quartier, il y a rarement besoin d’antibiotiques », décrit Clément.

Des vaches productives avec un coût des concentrés maîtrisé

Boris et Clément Lorne ont beau être économes, ils regardent surtout la marge brute laitière globale, ainsi que la marge ramenée à la vache (2 285 € par vache en 2022), puisqu’ils sont limités en nombre d’hectares d’herbe accessible et en places en bâtiment.

 

 
Les vaches ont accès à 9 hectares directement accessibles depuis la stabulation. Et 19 hectares de l’autre côté d’une route. En tout, les vaches traites disposent de ...
Les vaches ont accès à 9 hectares directement accessibles depuis la stabulation. Et 19 hectares de l’autre côté d’une route. En tout, les vaches traites disposent de plus de 25 ares par vache. © C. Pruilh

Ils cherchent à exprimer le potentiel de leurs 126 vaches, avec l’apport de concentrés, ajustés selon les performances des vaches grâce au DAC. « Même au printemps, nous apportons toujours un minimum de maïs (9 kg MS d’ensilage de maïs), d’herbe conservée (2 à 3 kg MS), de concentré énergétique (1 kg de notre orge), de correcteur azoté (500 g) et de concentré de production (2 kg). »

Depuis 2021, « ils récoltent de l’ensilage d’herbe pour augmenter la part d’herbe dans la ration : près de 50 % en 2022-2023, contre 30 % jusque-là, expose Alexandre Machin, de Alysé conseil en élevage. Cela répond à plusieurs objectifs. Le premier est d’être plus à l’aise vis-à-vis du cahier des charges AOP chaource. Le deuxième est de réduire les quantités de correcteur azoté : entre 2021 et 2022, le Gaec a économisé 368 kg par vache par an. Le troisième est d’améliorer l’équilibre nutritionnel pour les vaches et donc leur santé, car quand les maïs sont moins bons, le risque d'acidose augmente. Enfin, l’amélioration de l’autonomie alimentaire est un argument en vente directe ».

 

 
La ration hivernale se compose d’ensilage de maïs, d'ensilage d’herbe, d'orge, de correcteur azoté et de concentré de production. En été, trois sortes ...
La ration hivernale se compose d’ensilage de maïs, d'ensilage d’herbe, d'orge, de correcteur azoté et de concentré de production. En été, trois sortes d’enrubannage remplacent l’ensilage d’herbe : prairie, trèfles et luzerne achetée car le Gaec n’a pas de terres propices à la luzerne. © C. Pruilh

Ainsi, malgré un coût unitaire des concentrés relativement élevé en lien avec les exigences du cahier des charges chaource (85 % des aliments - fourrages et concentrés - doivent venir de la zone AOP et interdiction de l’urée et des traitements chimiques des céréales, notamment), le coût des concentrés des vaches aux 1 000 litres est de 77 euros, contre 88 euros pour le tiers supérieur du groupe Alysé, qui comprend des éleveurs en AOP, non-AOP et conventionnels non-OGM.

Une conduite des génisses très extensive

Autres poste très économe : l’élevage des génisses et des bœufs, menés de façon très extensive, en 100 % herbe le plus possible pâturée, seulement complémentés en foin, pour valoriser les prairies permanentes éloignées.

Ce qui explique un âge au premier vêlage élevé, de 32 mois en moyenne. « Notre objectif n’est pas de le réduire, car cela impliquerait plus de travail pour apporter la complémentation dans les prairies, et des frais d’alimentation pour obtenir un GMQ suffisant pour inséminer précocement. »

Alexandre Machin ajoute : « Par ailleurs, la première lactation est plus importante sur une primipare qui vêle à 32 mois que sur une qui vêle à 24 mois. Ce qui répond à l’objectif des éleveurs de produire le maximum de lait avec les 102 places en stabulation. »

Projet pour améliorer confort et revenu

Pour améliorer sa triple performance – économique, sociale et environnementale –, le Gaec réalisera un nouveau bâtiment pour les veaux d’ici un an. « Nous allons gagner en temps et en confort de travail. Comme l’ambiance du bâtiment sera meilleure, nous pourrons passer de traitements systématiques à du sélectif, avec des économies de frais vétérinaires à la clé », développe Clément.

 

Pas d’intérêt à développer davantage la transformation

 

 
La Ferme Lorne fabrique 2 500 fromages par an.
La Ferme Lorne fabrique 2 500 fromages par an. © C. Pruilh

La transformation et vente directe de soumaintrain est un atelier créé par la mère des frères Lorne. « À mon installation, j’ai repris des terres et développé un peu cette activité pour qu’elle devienne rentable », indique Boris Lorne.

Aujourd’hui, la production est de 2 500 fromages par an : soumaintrain, fromage blanc, fromage frais et un fromage à croûte fleurie. Soit entre 8 000 et 9 000 litres transformés chaque année. L’atelier mobilise 20 % du temps de Boris et un tiers temps d’un salarié. « Je ne dégagerai pas plus de marge en transformant davantage. Notre marge est très faible : 1 €/kg de fromage, temps de travail compté. Nous continuons car nous sommes attachés à cette production traditionnelle et que nos clients aiment nos produits. Nous en tirons une reconnaissance. Et nous espérons toujours un jour dégager une meilleure valeur ajoutée. »

En fromage soumaintrain, « il y a beaucoup de concurrence entre producteurs fermiers, pour peu de consommateurs, explique l’éleveur. Pour développer un atelier rentable, il faudrait prospecter plus de clients et élargir notre périmètre : cela demanderait beaucoup de temps et il faudrait réaménager les locaux pour réduire les pertes de temps ».

 

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