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Guillaume Ducros dans le Puy-de-Dôme : « C’est en testant de nouvelles méthodes qu’on avance »

Au Gaec de Laire, dans le Puy-de-Dôme, la recherche d’autonomie fourragère et d’un modèle respectueux des sols et de l’environnement pousse Guillaume Ducros à faire évoluer son système. Un défi agronomique, climatique et économique.

Guillaume Ducros a vadrouillé une dizaine d’années dans diverses régions et amultiplié les expériences dans le monde agricole et para-agricole avant de revenir s’installer sur la ferme familiale en 2009. Curieux par nature, ce qu’il aime par-dessus tout, c’est tester, expérimenter. « On n’a jamais fini d’apprendre, se plaît-il à dire. C’est ça qui me motive dans ce métier ! » Aujourd’hui, Guillaume élève avec son oncle, 66 Prim'Holstein à 7 800 kg sur une surface de 107 hectares, dont une dizaine est consacrée à l’orge entèrement autoconsommée, une douzaine au maïs, quinze hectares sont en luzerne, dix en prairies temporaires et le reste en prairies permanentes.

Sur l’exploitation située à Augerolles, à 600 mètres d’altitude, en AOP fourme d’Ambert et bleu d’Auvergne, l’exploitant n’hésite pas à tester différentes cultures et surtout différentes méthodes. Comme par exemple, semer en direct un maïs en mélange avec de la vesce et un sorgho (BMR monocoupe) derrière les orges début juillet. Ou encore semer un méteil d’automne derrière un maïs et semer dans ce même méteil un mélange trèfle-luzerne au début du printemps. « Mes pratiques détonnent un peu dans l’environnement local et sont parfois décriées, mais il y a aussi des éleveurs qui m’appellent pour me demander conseil, avance-t-il en souriant. J’essaie de les aider à mon niveau en leur faisant partager mes bonnes et mes moins bonnes expériences, même si je suis loin de tout savoir ! »

 

 
L’exploitation se situe à 600 m d’altitude, en zone très précoce en bordure de plaine, sur des sols sableux lessivables. © E. Bignon
L’exploitation se situe à 600 m d’altitude, en zone très précoce en bordure de plaine, sur des sols sableux lessivables. © E. Bignon
Le sol est replacé au centre du système

Parmi les différents défis qu’il se fixe, Guillaume place la performance économique en numéro un. Et pour lui, cela passe forcément par l’agronomie. « Le sol, c’est la base de tout, estime-t-il, persuadé qu’il faut remettre l’agronomie au centre de l’exploitation. Retrouver un sol vivant et fertile, c’est encore plus justifié dans nos régions de demi-montagne en sols sableux et lessivables. » Même sans l’obligation de Cipan, il n’y a pas un sol nu sur l’exploitation depuis seize ans. Selon les résidus de culture et la pression des adventices, les parcelles sont travaillées en semis direct ou en TCS, « le but étant de mettre la culture suivante dans les meilleures conditions possibles ». Dans certains cas, Guillaume ne s’interdit pas non plus de pratiquer un labour peu profond, à moins de 15 cm. Sur la rotation, la charrue n’intervient qu’une seule fois pour retourner les prairies arrivées en fin de course. « Je n’utilise plus jamais de glyphosate, indique-t-il. Je suis convaincu que l’on peut très bien s’en passer dans des systèmes d’élevage comme le mien avec prairies assolées… » Le fait de remettre l’agronomie au centre du système porte ses fruits. « On a une meilleure portance et plus de vers de terre. J’arrive à épandre du lisier sur l’orge en sortie d’hiver, ce qui serait impossible si je ne travaillais pas en semis direct. »

 

 
Le méteil d’hiver, composé de triticale, pois et vesce, a été semé début octobre et récolté précocément fin avril. © E. Bignon
Le méteil d’hiver, composé de triticale, pois et vesce, a été semé début octobre et récolté précocément fin avril. © E. Bignon
Amorcer une nouvelle réflexion sur les rotations

Le défi agronomique va de pair avec le défi climatique et la recherche d’autonomie alimentaire. « Je l’ai atteint il y a deux ans, sauf pour la paille, mais il faut continuer à avancer sur cette voie. » L’exploitation participe notamment au réseau d’expérimentation de systèmes de culture innovants, avec la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme. C’est dans ce cadre que l’éleveur a pu expérimenter sur sa ferme le Rami Fourrager, un outil d’aide à la décision qui vise à améliorer l’autonomie alimentaire, à travers un plateau de jeu de société. « Le jeu aide à tester de nouvelles approches fourragères et à mesurer leur impact en allant jusqu’au chiffrage du bilan fourrager prévisionnel, commente Guillaume. Il m’a donné une meilleure idée du potentiel de mon assolement et m’a permis d’amorcer une nouvelle réflexion sur mes rotations. »

Concrètement, l’éleveur a commencé à intégrer davantage de prairies temporaires dans la rotation, même près des bâtiments. « On en retire de nombreux bénéfices, constate-t-il. Les rotations sont moins gourmandes en intrants, l’apport des effluents intervient au plus près du besoin des plantes, et on a davantage de ressources fourragères grâce aux intercultures. »

Du semis direct pour le maïs conduit en intercultures

L’exploitant vise aussi à diminuer la part du maïs fourrage notamment au profit des prairies temporaires. « Le maïs est gourmand en main-d’œuvre et il faut faire évoluer les systèmes fourragers pour s’adapter aux sécheresses récurrentes », poursuit-il. Avant, les rendements atteignaient 13-14 tMS/ha en moyenne, mais avec la succession d’années sèches, ils ne dépassent pas 10 tMS/ha sur les dernières campagnes. « Je vais continuer d’en faire, mais une partie en intercultures que je sème en semis direct, à 17 cm d’écartement, en maintenant la même densité par hectare pour maximiser la couverture du sol, limiter les adventices et l’évapotranspiration. »

Dans la rotation, au lieu de semer un maïs après une prairie comme il le faisait par le passé, Guillaume sème plutôt une céréale à l’automne, qu’il conduit si possible sans désherbage. « Le schéma global repose sur 3-4 ans de prairies temporaires (5 ans si c’est une luzerne), suivis d’une céréale-interculture d’été-méteil-maïs-interculture-maïs-céréale. »

 

 
Avec la faucheuse autochargeuse de 26 m3 et 1,80 m de largeur de coupe, Guillaume fauche à 10 cm de haut (grâce à une réhausse installée sur le tambour) pour préserver un maximum de bourgeons et ne pas ramasser de terre. © E. Bignon
Avec la faucheuse autochargeuse de 26 m3 et 1,80 m de largeur de coupe, Guillaume fauche à 10 cm de haut (grâce à une réhausse installée sur le tambour) pour préserver un maximum de bourgeons et ne pas ramasser de terre. © E. Bignon
Miser sur la diversité des associations et des saisons

Face aux sécheresses, l’éleveur mise sur la diversité de plantes et d’associations. « Il y a deux ans, j’ai semé par exemple 4 hectares de prairies sur un petit plateau exposé au vent à côté des bâtiments : de la chicorée associée au trèfle et au dactyle, et du plantain avec du ray-grass hybride et du trèfle pour faire pâturer les vaches l’été. Ces plantes résistent bien au sec et à la moindre goutte, elles repartent tout de suite. L’été, il n’y a que ça de vert dans les parcelles. » Guillaume a aussi expérimenté le lablab associé à du maïs, ou à des haricots et courges. « C’était magnifique ! Dommage que la culture se soit pris la grêle le 18 août 2019. »

Jugée « incontournable », la luzerne enfin s’est imposée comme une valeur sûre pour pallier le manque de fourrage estival, entraînant avec elle l’affouragement en vert depuis 2012. « Nos sols sont acides mais sur les parcelles en rotation et avec un chaulage régulier, on arrive à atteindre un pH de 6,5. » Comme les sols sont hétérogènes, l’éleveur préfère cultiver la luzerne en mélange « maison » en associant deux variétés de luzerne (60 %), 20 % de trèfle violet, 5 % de dactyle, un peu de fétuque élevée et du trèfle blanc géant. « Avant, on faisait cinq coupes, mais ces dernières années, on n’en a fait que trois. » La première coupe est ensilée précocément et les suivantes sont récoltées pour l’affouragement en vert ou en foin.

 

 
La salle de traite, une 2x6 en épi avec décrochage, date de 2010. « On trait à deux, mais l’un d’entre nous s’occupe en parallèle des veaux et de l’alimentation des vaches. » © E. Bignon
La salle de traite, une 2x6 en épi avec décrochage, date de 2010. « On trait à deux, mais l’un d’entre nous s’occupe en parallèle des veaux et de l’alimentation des vaches. » © E. Bignon
Des vaches équilibrées, rustiques, adaptées au relief

Auparavant, la ration comportait deux tiers d’ensilage de maïs et un tiers d’ensilage d’herbe. Le rapport s’équilibre à 50/50 aujourd’hui. La ration est distribuée à la désileuse et le mélange de concentrés (1,5 kg d’orge autoconsommée, 1,5 kg de farine de maïs et 2,5 kg de tourteau) est apporté en trois fois par jour l’hiver. Le troupeau dispose aussi de foin à volonté. Le cahier des charges de l’AOP a contraint l’élevage à arrêter le colza fourrager et à opter pour un tourteau non OGM.

Sur le troupeau, l’éleveur recherche des vaches équilibrées, rustiques, « plutôt des petites vaches adaptées au relief, capables de valoriser l’herbe et le pâturage ». « Je ne souhaite pas monter en productivité », poursuit-il, en précisant qu’il pratique du croisement en Blanc Bleu sur un quart des animaux et du sexage sur les génisses (seulement la moitié sont inséminées, les autres vont au taureau) ainsi que sur quelques bonnes vaches.

Guillaume a fait le choix de faire vêler les vaches toute l’année pour mieux répartir le travail, optimiser l’occupation du bâtiment et coller à la demande de lissage de production prônée par Sodiaal. Les génisses, quant à elles, vêlent au printemps et sont remises à la repro l’été pendant la période d’affouragement en vert. Elles vêlent à 35 mois, du fait d’une mise à la reproduction tardive. « Je sais que j’ai des marges de progrès sur ce point, concède Guillaume. J’y gagnerai économiquement, en stocks fourragers et sur le bilan carbone aussi. » Depuis plus d’un an, il est passé à une buvée de lait entier par jour pour les veaux. « J’ai gagné trois semaines d’âge au sevrage ! C’est plus simple, j’ai de meilleures croissances et les génisses sont plus belles. Elles sont moins ventrues, plus fines, consomment davantage de fourrages. Désormais, elles sont sevrées à 10 semaines, consomment leurs 2 kg de concentrés. Elles mangent l’aliment avant de boire. »

Chez Guillaume Ducros : "En été je fais pâturer la nuit et j'affourage en vert le jour"

 
La main-d’œuvre est le prochain défi d’envergure

Simplifier les pratiques pour gagner du temps devient bel et bien une nécessité car la main-d’œuvre est le prochain défi d’envergure pour Guillaume. Son oncle Alain part à la retraite dans quelques mois. « Il y a cinq ans, nous étions quatre UMO sur la ferme avec mes parents, et désormais je vais me retrouver seul. » Cette situation ne semble pourtant pas inquiéter l’éleveur outre mesure. « Je préfèrerais trouver un associé dans mon entourage plutôt qu’embaucher un salarié. Économiquement, avec notre structure, à deux associés ça passe. Un salarié me coûtera la même chose, mais il ne fera pas le même nombre d’heures… »

En attendant, Guillaume sollicite le service de replacement. Avec le groupe de la Cuma, ils ont créé en mai dernier un groupe d’utilisateurs volontaires avec un salarié qui tourne sur les différentes fermes. Chacun s’engage sur un nombre de jours par an. « Chez moi, il vient un jour par semaine et touche à tout, aussi bien les animaux que les engins. C’est bien d’avoir quelqu’un de proximité qui connaît bien l’exploitation. On fait tous un effort pour compléter le planning et lui assurer un temps plein. On doit s’organiser pour faire face à la charge de travail car on se retrouve tous au fil des ans avec de moins en moins de main-d’œuvre sur nos exploitations... Il va bien falloir apprendre à se passer des retraités bénévoles ! »

Chiffres clés

SAU 107 ha dont 9 ha orge, 12 ha maïs, 15 ha luzerne, 10 ha prairies temporaires, 66 ha prairies permanentes
Cheptel 66 Prim’Holstein à 7 800 kg
Référence 470 000 l
Chargement 1,2 UGB/ha
Main-d’œuvre 2,3 UMO dont 2 associés

Avis d’expert : Lucille Boucher, de la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme

« Une bonne approche globale de l'agrosystème » 

 

 
Lucille Boucher, de la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme. © E. Bignon
Lucille Boucher, de la chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme. © E. Bignon
« Guillaume est un éleveur très entreprenant sur le territoire du Livradois. L’EBE/PB atteint 41 %, efficacité qui résulte de l’utilisation de leviers multiples. Les bons résultats du troupeau sont liés à une bonne approche globale de l’agrosystème. Si l’âge au vêlage peut être légèrement plus précoce, il n’est pas rare de voir sur la ferme des vaches à 8 lactations. Le chargement est de 1,2 UGB/ha de SFP, ce qui, dans ces régions, est difficile à tenir en pâturage sans achats extérieurs. Le système d’affouragement en vert, peu utilisé sur le territoire d’Ambert, lui permet de gérer ses prairies au plus proche du besoin de ses bêtes et de mieux les valoriser. Guillaume ne néglige pas non plus les échanges entre pairs, source importante d’innovation et d’adaptation. Que ce soit dans son travail avec les Cuma ou son implication dans les réseaux de références, il considère ces échanges comme nécessaires pour avancer, et entraîne du monde dans son sillage pour atteindre ses objectifs d’autonomie et de gain de temps de travail. »

 

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