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Dossier sans sulfites
La bioprotection, indissociable des itinéraires de vinification sans sulfites ?

Les levures non-Saccharomyces, ou bioprotection, sont presque systématiquement prescrites dans les itinéraires sans sulfites. Leur utilisation n’est pourtant pas forcément pertinente si l’on ne maîtrise pas les conditions d’implantation. Explications.

Éric Moëc, ingénieur œnologue chez Badet Clément, réserve la bioprotection aux raisins vendangés à la main. Il s'agit des raisins issus d'un domaine que la Maison de négoce possède en propre.  © J. Gravé
Éric Moëc, ingénieur œnologue chez Badet Clément, réserve la bioprotection aux raisins vendangés à la main. Il s'agit des raisins issus d'un domaine que la Maison de négoce possède en propre.
© J. Gravé

Près de six fois plus cher. C’est à peu près l’ordre de prix entre un kilo de levures de bioprotection et un kilo de Saccharomyces. « À ce prix-là, il faut que ce soit vraiment pertinent », commente Éric Moëc, ingénieur œnologue chez le négociant Badet Clément. Pour se faire sa propre idée sur le sujet, l’œnologue, qui dirige les sites languedociens, a mené des essais de bioprotection sur ses deux cuvées rouges sans sulfites. « L’une est un assemblage de syrah et de grenache de la marque Les Jamelles, que l’on achète en notre qualité de négociant, et l’autre un 100 % pinot noir issu de notre domaine en bio, la Métairie d’Alon, dans l’Aude », poursuit Éric Moëc.

Une bioprotection peu efficace sans maîtrise des conditions de transport

Comme le rappelle Bertrand Châtelet, directeur de l’IFV Pôle Bourgogne, « l’ajout de bioprotection doit être réalisé le plus tôt possible, en cagette ou à la benne ». « Les raisins des Jamelles viennent de la vallée de l’Orb, à une heure de route. Malgré la bioprotection, on a eu beaucoup de départs en fermentation sauvages », atteste Éric Moëc. Pour lui, la meilleure bioprotection dans ce cas reste le levurage à l’encuvage, à la dose de 20 g/hl de Saccharomyces. « J’ajoute de la neige carbonique, des copeaux frais à 200 g/hl et un mélange de tanins galliques et de châtaignier pour le côté antioxydant », développe l’œnologue. Pour autant, il utilise des Metschnikowia pulcherrima sur ses pinots noirs bio vendangés à la main, qu’il ajoute à l’encuvage. Pas pour l’effet microbiologique, car avec des raisins sains et intègres, il n’a pas constaté de développement de levures pathogènes, même sans bioprotection. « Il y a une meilleure révélation des arômes après macération de trois à quatre jours à 12 °C », indique Éric Moëc. En Bourgogne, Grégoire Pissot, œnologue à la cave de Lugny, n’envisage pas de se passer de bioprotection pour produire son mâcon blanc sans sulfites. Il a donc dû trouver une parade pour gérer l’ensemencement des non-Saccharomyces avant que les raisins n’arrivent au conquêt. « Tous les matins, on prépare un levain et on fournit un bidon à chaque adhérent. Ils ont pour consigne d’en appliquer la moitié dans le fond de la benne et le reste au moment où ils remplissent le godet », rapporte-t-il. Il a lui aussi opté pour une Metschnikowia Pulcherrima, une souche à privilégier sur blanc et rosé. « C’est une souche non fermentaire, ça évite les complications au débourbage », explique Bertrand Châtelet, de l’IFV.

Des capacités antioxydantes récemment confirmées

Dans les itinéraires blancs et rosés, de récents travaux de recherche vont dans le sens de la bioprotection. Sara Windholtz, Docteure en œnologie, a mené une thèse entre 2017 et 2020 à l’ISVV, financée par la région Nouvelle-Aquitaine et la société Biolaffort, afin d’évaluer le potentiel de la bioprotection comme substitut au SO2. Ses recherches portaient à la fois sur l’aspect microbiologique et sur le rôle antioxydant de la bioprotection. Elle s’est basée sur un cocktail de Metschnikowia pulcherrima et de Torulaspora delbrueckii ensemencé à 5 g/hl pour ses suivis. « Sur sémillon, j’ai constaté que la bioprotection consommait immédiatement l’oxygène présent dans le milieu. C’était véritablement visible à l’œil nu. Les moûts bioprotégés brunissaient beaucoup moins vite que les moûts sans bioprotection ni SO2 », rapporte-t-elle. Elle explique que cette consommation d’oxygène semble plus rapide avec la bioprotection qu’avec Saccharomyces cerevisae. « Probablement parce que la bioprotection est moins sensible aux basses températures », avance la Docteure. Mais attention, cela suppose la présence d’un certain niveau de population dans le moût. « Il est aussi probable qu’il y ait des variations sur la consommation d’oxygène inter et intra-espèce. C’est un point qu’il faudrait approfondir », remarque Sara Windholtz. Elle a par ailleurs observé sur vins finis une hausse significative de la concentration en glutathion, réputé pour ses propriétés antioxydantes, par rapport à la modalité sans protection. Les concentrations étaient toutefois à un niveau équivalent au témoin sulfité à 5 g/hl en sortie de pressurage. Pour Bertrand Châtelet, c’est une piste intéressante qui pourrait donner de nouvelles cartes aux producteurs bio, qui n’ont pas le droit d’utiliser des levures inactivées à teneurs enrichies en glutathion.

Un impact sur le déclenchement des fermentations malolactiques

Certains chercheurs avancent que la bioprotection enrichirait le milieu en composés favorables à l’enclenchement des malos. « Je ne sais pas si c’est ça ou tout simplement le fait qu’il n’y ait pas de S02, mais en général les malos démarrent de suite après la fin des FA », confirme Grégoire Pissot. Un constat partagé par Éric Moëc, ce qui lui pose problème sur certains vins. « Ici dans le Sud, un chardonnay qui fait sa malo, ça donne un vin un peu mou. Donc je la bloque avec une filtration très serrée, mais pour le moment les résultats ne me plaisent pas », témoigne Éric Moëc.

Autre point, Sara Windholtz a observé un développement limité des bactéries acétiques dans les vins bioprotégés. « On suppose que les non-Saccharomyces consomment l’oxygène dont les bactéries acétiques ont besoin pour se multiplier », présume la Docteure. Dans tous les cas, c’est-à-dire avec ou sans bioprotection, les déviations microbiennes constituent un risque sérieux avec le sans sulfites (voir encadré).

Hugues Laborde, régisseur des vignobles Invidia, en Gironde

« J’applique la bioprotection au pulvé à dos pour que ce soit bien homogène

Nous avons depuis 2018 deux vins de France sans sulfites, un blanc de macération et un rouge. Avant même de parler bioprotection, le premier point de vigilance, c’est le pH. L’acidité joue un rôle à la fois organoleptique et microbiologique. Ma règle est de ne pas dépasser les 3,45 sur rouge. C’est pourquoi les parcelles sélectionnées pour ces cuvées sont situées sur les terroirs les plus frais, composés de calcaire. Pour mes deux cuvées j’utilise un mix de levures Metschnikowia pulcherrima et Torulaspora delbrueckii. Je les mets le plus tôt possible, à savoir à la benne. Le mode d’incorporation est très important. Si ce n’est pas homogène, c’est la porte ouverte à tout. Je les applique avec un petit pulvérisateur à dos, pour que ce soit bien réparti. Pour le blanc, je fais une macération de 72h à environ 8 °C sous gaz inerte. Une fois la macération achevée, je presse et remonte la température avant de levurer à 10 g/hl avec une Saccharomyces. Et bien sûr, pendant ce temps, je vérifie que ça ne sent pas la pomme blette, signe d’une oxydation prématurée. Pour le rouge, je levure dès l’encuvage. Je me sers donc de la bioprotection pour contrôler les populations entre la récolte et l’encuvage, et minimiser l'oxydation en y associant des tanins ou du bois frais."

voir plus loin

Le retour de déviations que l’on croyait disparues

Vinifier sans sulfites, c’est aussi prendre le risque de voir se développer des maladies que l’on n’avait pas forcément anticipées. Grégoire Pissot, œnologue à la cave de Lugny en Bourgogne, en a fait les frais. « J’hésitais entre un itinéraire très réducteur ou au contraire un itinéraire avec hyperoxygénation des moûts pour mon mâcon blanc. J’ai donc testé les deux sur des petits lots », explique-t-il. En cours d’élevage, il a vu se développer sur la modalité hyperoxygénée une maladie dont il avait entendu parler au cours de ses études, mais à laquelle il n’avait jusque-là jamais eu affaire. Il s’agit de la maladie de la graisse, provoquée par les bactéries lactiques du genre Pediococcus. « Je n’ai jamais recommencé, mais le problème est que les déviations sont réapparues les années suivantes sur mes vins non sulfités en phases préfermentaires. C’est très difficile de s’en débarrasser sans SO2 », observe Grégoire Pissot. Sur rouge, de nombreux œnologues conseils et laboratoires témoignent du retour en force des goûts de souris sur les vins sans sulfites. Si l’on suspecte là aussi un voire plusieurs microorganismes, leur origine n’est à ce jour pas complètement connue.

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