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Adhésion de l’Ukraine à l’UE : des impacts majeurs sur les grandes cultures

Surfaces d’exploitations immenses, faibles coûts de production, forte capacité d’adaptation… : l’Ukraine pourrait modifier en profondeur les équilibres européens en grandes cultures si elle venait à intégrer l’Union européenne. Certaines filières seraient renforcées quand d’autres mises sous forte pression.

La question de l’éventuelle entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne (UE) et ses conséquences sur l’agriculture a animé une partie des débats de la conférence organisée le 26 novembre par Agridées, à l’occasion de la sortie de sa note consacrée au futur élargissement de l’Union. Les impacts sur les filières grandes cultures y sont notamment analysés, un sujet qui a fait réagir les représentants des producteurs français de maïs et de betteraves à sucre, venus exprimer leurs inquiétudes.

Maïs et tournesol, un potentiel productif qui rebat les cartes

Avant-guerre, l’Ukraine produisait jusqu’à 42 millions de tonnes (Mt) de maïs grain. Malgré le conflit, avec des rendements de 6 et 8 t/ha sur près de 4 millions d’hectares, la production se maintient entre 26 et 32 Mt, largement exportés, dont la moitié vers l’UE depuis 2022. Son éventuelle adhésion ferait grimper la production européenne d’environ 50 %, avec à la clé des excédents, une pression accrue sur les prix et une concurrence renforcée par des coûts de production nettement plus bas que dans l’UE. Kiev a aussi une importante production de maïs semence, avec des exportations vers la France multipliées par six entre 2021 et 2023. 

À l’inverse, Franck Laborde, président de l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM), évoque la régression continue de la production européenne « sous l’effet notamment du durcissement des règles de production » (recul de 9 % des surfaces de maïs grain en 2025 par rapport à la moyenne 5 ans selon l'USDA). Par ailleurs, l’AGPM a évalué les charges de production à 97 €/t en Ukraine contre 230 à 240 €/t en France.

Côté tournesol, avec 5,1 millions d’hectares, une production d’environ 12 Mt et une industrie de trituration très puissante, l’Ukraine est déjà un acteur clé du marché mondial. Le pays exporte 5 à 6 Mt d’huile, dont plus de 90 % vers l’Europe. L’adhésion ferait de l’UE un leader incontesté, mais poserait rapidement la question de la valorisation. Les producteurs français et d’Europe centrale subiraient une pression accrue, et la concurrence sur les semences s’intensifierait, l’Ukraine bénéficiant depuis 2025 d’une certification équivalente à celle de l’UE. Les flux se concentreraient encore davantage autour de la mer Noire, appelant à repenser les débouchés dans les zones actuelles de production.

Sucre, un modèle industriel difficile à suivre

Après être tombée à 1,1 Mt, la production ukrainienne de sucre de betterave est remontée à 1,8 Mt en profitant de l’ouverture du marché européen en 2022 et de la hausse des cours mondiaux. Les surfaces progressent (250 000 ha contre 200 000 auparavant), les rendements restent moyens (60 % des français), mais les coûts de production extrêmement bas (deux fois moins élevés que les coûts français en betterave et – 20 % sur les coûts industriels). Les exportations ont explosé, jusqu’à 700 000 t en 2023, dont 80 % vers l’UE, avant de redescendre à 100 000 t ce qui reste élevé. Une adhésion accentuerait ces déséquilibres, dans une filière européenne déjà fragilisée par la volatilité des marchés mondiaux.

Timothé Masson, directeur du service économie de la Confédération générale des betteraviers (CGB), se montre extrêmement inquiet. « En France les exploitations betteravières disposent en moyenne de 17 ha de betteraves pour une SAU de 140 ha. En Ukraine, 15 grands groupes produisent du sucre, dont le numéro 1, Astarta, gère à lui seul 210 000 ha de betterave. Ce sont deux systèmes qui ne peuvent pas coexister. » Pour ce dernier, en cas d’adhésion de l’Ukraine, il faudra des normes structurelles similaires. Le directeur s’interroge sur l’impact qu’a eu en son temps l’adhésion de la Pologne sur la filière sucre française. « Nous avons fermé six usines en 20 ans quand la Pologne n’en a fermé aucune. Il n’y a pas d’effet économique positif pour nous. »

Blé et colza, une pression accrue sur les coûts et les prix

Avec 22 à 23 Mt de blé tendre produites ces dernières années, un rendement à 4,6 t/ha, l’Ukraine reste un acteur majeur. Ses exportations vers l’UE ont pesé sur les marchés entre 2022 et 2024, accentuées par des coûts de production environ 30 % plus bas qu’en France. L’intégration ukrainienne renforcerait cette concurrence, mais une incertitude demeure car les oléagineux et le maïs offrent de meilleures marges, ce qui pourrait limiter l’extension des surfaces en blé. Reste que l’origine ukrainienne resterait très compétitive sur un marché européen tendu.

Le colza représente un autre point fort du pays : 1,3 million d’hectares, des rendements proches de 3 t/ha et une production jusqu’à 4,5 Mt selon les années, soit déjà 20 à 25 % du niveau actuel de l’UE. La quasi-totalité des graines est exportée vers l’industrie européenne. Une adhésion renforcerait l’offre disponible mais sans déséquilibrer le marché. La principale conséquence concernerait les prix. Le développement de débouchés non alimentaires (énergie, biocarburants) apparaît déterminant pour absorber cet afflux supplémentaire.

Soja, un renforcement partiel de l’autonomie protéique européenne

En soja, avec 2,7 millions d’hectares et une production attendue de 6 Mt, l’Ukraine produit déjà deux fois plus que l’ensemble des 27. Mais l’UE importe encore 30 Mt par an depuis le continent américain, ce qui relativise l’effet potentiel d’une intégration. L’Ukraine contribuerait à renforcer l’autonomie protéique européenne, mais de manière insuffisante pour réduire significativement la dépendance globale. Une stratégie européenne dédiée (plan protéines…) resterait indispensable, adhésion ou non.

Une ancienne ministre de l’agriculture ukrainienne répond aux inquiétudes des professionnels

Face à des représentants professionnels inquiets, Olga Trofimtseva, ancienne ministre par intérim de la Politique agricole et de l’Alimentation de l’Ukraine, a répondu le 26 novembre que son pays pouvait combler les lacunes de l’UE, notamment sur le soja. « Il sera plus intéressant pour les Européens de s’approvisionner en Ukraine que de l’importer du bout du monde. » La ministre, qui considère que « l’Ukraine fait partie de la solution, et non pas un problème pour l’UE », indique que son pays changerait en intégrant l’UE et qu’une évolution de l’ensemble des exploitations, les petites comme les agroholdings, sera nécessaire, sur les plans normatifs, fiscal ou encore social.

Attentif aux propos de la ministre, le président de l’AGPM martèle que l’UE doit se doter d’une politique agricole européenne structurante, et qu’il faut « libérer la capacité à produire, ce qui permettrait d’accepter l’adhésion de l’Ukraine. » Si cette entrée inquiète les maïsiculteurs, pour Franck Laborde, la non-adhésion, dans les conditions actuelles, n’est pas non plus supportable. De son côté, Timothé Masson de la CGB craint le développement d’une agriculture européenne à deux vitesses : « d’un côté une Ukraine qui va produire et de l’autre un modèle familial français à bout de souffle. »

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